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Domaine étranger Du fond de l’eau

octobre 2016 | Le Matricule des Anges n°177 | par Valérie Nigdélian

Le premier roman de Federigo Tozzi, enfin traduit, explore les fièvres et les silences d’un être perdu dans ses limbes intérieurs.

Il a l’étrangeté de ces textes charnières qui closent une époque et en annoncent une autre. L’étrangeté, et le déséquilibre, comme l’inquiète inconstance. Les Yeux fermés de Federigo Tozzi (1883-1920) est une de ces « heureuses anomalies », selon les mots du critique Giorgio Luti, qui ont ouvert le XXe siècle italien à la modernité, et à l’Europe. Longtemps considéré comme un petit maître du vérisme, un écrivain provincial attaché à la description concrète de la réalité de sa campagne siennoise, Tozzi n’a été « redécouvert » en Italie que tardivement, dans les années 1960, lorsque l’on a su lire dans ses textes les prémices d’une modernité nerveuse et antinaturaliste. En France pourtant, Tozzi reste encore largement méconnu. On peut ainsi espérer que, sous l’égide de son traducteur Philippe Di Meo, le travail commencé chez José Corti en 2012 (avec la publication du recueil de proses brèves Les Bêtes) et prolongé aujourd’hui chez La Baconnière avec la traduction de son premier roman, lui redonne toute sa place.
Il ne s’agit pourtant que d’une histoire toute simple – un amour inabouti entre deux jeunes gens, une maladroite éducation sentimentale – et pétrie d’autobiographie : rien que de très banal, mais que l’écriture de Tozzi transfigure, décale, déplace, perturbe. Il y a bien la description d’une petite classe dominante, étroitement matérialiste et possédante. Le portrait d’une société immuablement injuste et aliénante. Un vif attachement à la beauté des gens simples, « faits de pain », et à leur proximité innocente avec la nature (des têtes d’oiseaux écrasées entre les doigts, de l’encre fabriquée « avec les mûres des haies », des « chairs imprégnées de volupté, comme une éponge d’huile »). Mais il y a avant tout cette trame narrative éclatée et fragmentaire, allant de descriptions des paysages, des villages, de la nature vivante, à l’introspection lyrico-tragique des âmes. Un mystère sourd et permanent, émanant des êtres aussi bien que des objets, qui bâtit par son insistance têtue et sa récurrence obsessive un profond sentiment d’incompréhension : « comment les autres étaient-ils faits ? »
Solitude, violente inaptitude à être, sont les leitmotive de Tozzi, que résume en une image essentielle le titre du roman. Ces « yeux fermés », ce sont ceux de Pietro, l’amoureux vacillant et hésitant, le fils vaguement insoumis, l’idiot médiocre et éthéré face à la brutalité terrienne de son aubergiste de père : « Il éprouvait cette même sensation que nous éprouvons lorsque nous sommes sous l’eau et ne pouvons garder les yeux ouverts. » Cet impossible rapport au monde et à l’autre, condamné à l’inauthenticité, transpire pourtant d’une sensualité diffuse, mais non moins impérieuse, qui jaillit en exclamations intempestives lorsque Pietro, pris dans « ces troubles indéfinissables du mois de mars », contemple une nature encore assourdie par les traces de l’hiver mais déjà porteuse des promesses du printemps : « Ces soleils ambigus, (…) ces nuages blanchoyant qui semblaient être venus avant l’heure ! Et les feuilles sèches, (…) recouvrant encore les blés qui germent ! (…) les arbres taillés, leurs branches et leurs sarments voués à être emportés pour toujours ! (…) les mottes qui engluent les sabots de bois ! (…) Et le gui, (…) arraché d’un coup de fauchard ! (…) Et les bourgeons des châtaigniers ! » Mais d’aspirations en éreintements, d’exaltations en abandons, les contours des êtres et du monde ne cessent de se défaire : impossible stabilité, mouvance sans fin, tout échappe. Choses et sentiments, sitôt érigés, s’éteignent en traces falotes. Rien n’est plus frappant chez Federigo Tozzi que cette capacité à effacer les frontières, à troubler la perception, à ne rien préserver de ces métamorphoses incessantes. La psychologie du ressaut, la description comme flux, la brusquerie narrative participent de cette fragmentation du réel qui n’apparaît bientôt plus que comme un pur fantasme : « La campagne était aussi changeante que ses états mentaux ; mais (comme ceux-ci, pourrait-on dire) elle ne lui appartenait pas. »

Valérie Nigdélian

Les Yeux fermés, de Federigo Tozzi, traduit de l’italien
par Philippe Di Meo, La Baconnière, 208 pages, 18 

Du fond de l’eau Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°177 , octobre 2016.
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