Un livre

Contrefeu

de Emmanuel Venet

Editions Verdier

Que la cathédrale de Saint-Fruscain (sic) ait brûlé le 15 avril 2010, malencontreusement ou tout à fait opportunément, de main humaine ou d’accident divin, est à la fois au centre et à la périphérie du nouveau livre d’Emmanuel Venet. Contrefeu propose quelques suspects mais dépeint surtout les turpitudes de toute une ville, bien nommée Pontorgueil. Dans ce roman choral sans enfant de chœur, où les points de vue ne sont pas tout à fait raccord, ne nous seront épargnés ni les combines du service de sécurité incendie, ni les appels d’offres en tous genres, ni les arrangements du maire, ni les malheurs du bedeau, ni la libido de l’évêque. Philippe Ligné, Blaise Muki, Géraud Mourron, Marie-Ange Lamastre et Jacques-Henri Du Montet d’Orgeval sont quelques-uns (surtout masculins) des multiples personnages, ou devrait-on dire des types qui composent cette galerie gratinée. Amateur de faits divers régionaux ou fan de satires bien senties, le lecteur appréciera en Pontorgueil la voisine fictive de la tout aussi fictive Verrières, ville étriquée du Rouge et du Noir, de Stendhal. On verra dans Contrefeu aussi bien une chronique provinciale en ces temps de regain religieux (cf. Saint-Pierre de Colombier) qu’un apologue cinq ans après l’incendie de Notre-Dame de Paris. Ostensiblement décalé, Contrefeu brille par son ironie : la précision du lexique (qu’il s’agisse de caractériser un sexagénaire, « de type pycnique », ou de pasticher une description d’architecture en accumulant bucranes et mandorles, architraves et métopes) et les délices du discours indirect (« Pour tout dire, cet incendie, il avait rêvé de l’allumer, et il aurait même volontiers fait rôtir l’évêque dans le brasier, de sorte qu’il se demandait s’il n’aurait pas fait une grosse connerie. »). Comme dans Marcher droit, tourner en rond (réédité en poche), l’écrivain et psychiatre Emmanuel Venet pointe les compromissions qui minent le contrat social et la foi en son prochain. La fable est efficace, souvent drôle et bien rythmée, mais au-delà du rire et du constat impitoyable, manque peut-être un ailleurs, une émotion.

Chloé Brendlé

Contrefeu
Emmanuel Venet
Verdier, 127 pages, 16,50 €