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Zoom Ces âmes qu’on arrache avec la peau

mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251 | par Richard Blin

Portrait épistolaire de quinze femmes poètes de divers continents, Premières à éclairer la nuit remet l’individualité au cœur de la scène littéraire et montre comment la poésie peut naître des épreuves et des blessures.

Premières à éclairer la nuit

Des intransigeantes, des entêtées, des indomptables, elles sont quinze qui ont voulu vivre à l’envers des conventions, quinze poétesses pour qui l’écriture aura été l’existence même, quinze femmes avec lesquelles Cécile A. Holdban, en poète qu’elle est, entretient un rapport de compagnonnage et d’intimité par-delà le temps et l’espace, et à qui elle rend corps, voix, présence et hommage. Des femmes qui vécurent dans des pays aussi différents que l’Autriche, l’Afrique du Sud, le Chili, l’Italie, la Russie, l’Iran, les États-Unis, l’Allemagne ou la Nouvelle-Zélande. Un choix facile à comprendre quand on sait que l’auteure, née à Stuttgart en 1974, de mère hongroise et de père français, a vécu son enfance en France avant de poursuivre sa scolarité en Bavière, dans un internat destiné aux enfants de la diaspora hongroise et qu’elle s’est essayée aux beaux-arts avant d’apprendre le finnois et le quechua, de beaucoup voyager et de traduire du hongrois et de l’anglais.
Ces femmes hantées par les mots jusqu’à leur dernier jour, elle leur prête sa voix, pour mieux faire entendre la leur. Et ce, en les faisant parler à travers une lettre fictive à valeur plus ou moins testamentaire, et adressée à une figure aimée ou à un proche – père, mère, sœur, fils, mari – qui devient une sorte de double du lecteur. Elles ont pour nom Alejandra Pizarnik, Ingeborg Bachmann, Marina Tsvetaïeva, Anna Akhmatova, Nelly Sachs, Sylvia Plath, Anne Sexton, Forough Farrokhzad, Edith Södergan (en couverture), Gertrud Kolmar, Ingrid Jonker, Janet Frame, Karin Boye, Gabriela Mistral, Antonia Pozzi. Elles ont été confrontées aux grands drames du XXe siècle – la terreur stalinienne, la Shoah, l’apartheid, le fondamentalisme religieux – ou/et se sont violemment heurtées aux murs des prisons que sont le conformisme intellectuel, les conventions sociales, le malheur, la maladie, l’isolement. Elles ont connu l’excommunication, l’exil, la solitude physique et métaphysique, le désespoir. Ne commentant jamais les faits, s’en tenant à la simple narration événementielle chacune, à sa façon, évoque sa vie, avec son cortège d’amours impossibles, de deuils, de fragiles victoires et de cruelles désillusions. Inconditionnelles, altières, impatientes et souverainement indépendantes, toutes sont des endeuillées de la passion.
Différentes dans leur personnalité, elles se ressemblent cependant par leur façon d’aimer sans conditions. Aimer et brûler, aimer et se brûler, toutes vont sans armure autre que le feu qui les habite et que leur besoin de créer. C’est qu’écrire et vivre sont pour elles une seule et même chose, un même besoin de transcender par les mots ce qu’elles vivent, de changer en cristal vif et tranchant ce qui les écrase, les menace ou les fait chanceler. L’alpiniste qu’était Antonia Pozzi cherchait, en écrivant, un poème à gravir sa vie rêvée. Anne Sexton puisait son énergie créatrice dans la pulsion de mort. Anna Akhmatova considérait que la poésie commençait dès qu’on mettait, par mégarde, à la main droite le gant de la main gauche. Alejandra Pizarnik ne voyait dans ses poèmes que les « approximations d’une écriture totale faite de silence et de musique ». Gertrud Kolmar, rabaissée, réduite à rien comme tous les juifs, dut suivre un chemin qui « suinte dans un désert ; des ruisseaux murmurent, fraîches eaux réconfortantes, mais je ne les trouve pas ». Nelly Sachs, elle, n’a jamais pu écrire que « lapidée par la nuit », d’où une poésie du désastre que l’on retrouve chez Ingeborg Bachmann. Quant à Marina Tsvetaïeva, la plus extrême de toutes, ses vers étaient son corps, son corps était ses vers.
Toutes humiliées, voire niées, ont trouvé dans la poésie une façon d’être et d’affirmer leur droit à exister. Leurs poèmes sont comme des portes ouvrant sur leur vie. Des vies faites de solitude et de nuit, de vide et de silence, entrecoupées de rares moments de plénitude. Des existences tragiques qui ont en commun le refus du compromis comme l’art d’être soi, et entre lesquelles existe tout un jeu de résonances : Ingeborg Bachmann et Sylvia Plath connurent un destin en partie lié à des hommes qui furent de grands poètes, Paul Celan et Ted Hughes ; d’autres eurent des parcours dépressifs semblablement ponctués de tentatives de suicide, et près de la moitié d’entre elles choisirent la mort faute de pouvoir accéder à l’autre vie qui leur semblait due. Des voix qui s’entrelacent en une seule flamme pour éclairer la nuit, et magnifier le surcroît de vie que peut insuffler la poésie.

Richard Blin

Premières à éclairer la nuit
Cécile A. Holdban
Arléa, 240 p., 21

Ces âmes qu’on arrache avec la peau Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°251 , mars 2024.
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