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Essais L’enchanteur et ses vertiges

mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251 | par Guillaume Contré

Un livre-somme nous rappelle l’existence d’un créateur visionnaire qui sut insuffler son génie dans la grande machine d’Hollywood.

Busby Berkeley, l’homme qui fixait des vertiges

Le nom de Busby « Buzz » Berkeley ne dira pas grand-chose à ceux qui n’ont pas fait de la cinéphilie une passion dévorante. Il fut pourtant de ces créateurs d’images qui ont laissé une marque durable sur la pellicule et dont l’influence s’étale aux quatre coins de la filmographie mondiale. S’il n’a pas réalisé beaucoup de films sous son nom, il a dirigé un nombre conséquent de numéros époustouflants, presque des œuvres en soi, dans bien des productions de l’âge d’or de la comédie musicale hollywoodienne, au tournant des années 1930, alors que la grande dépression faisait des ravages et que le couperet moral du code Hays (qui s’offusquerait de la moindre allusion érotique) s’apprêtait à tomber.
La référence au code Hays n’est pas anodine : la charge érotique, justement, des « kaléidoscopes » visuels mis en place avec une obsessionnelle patience par Berkeley est certaine. Véritable bourreau de travail qui ne renonçait pas tant qu’il n’était pas parvenu à mettre en boîte les images impossibles qu’il avait en tête – lui qui, comme le rappelle le sous-titre du livre dans un clin d’œil rimbaldien, « fixait des vertiges » dans de fameux plans zénithaux défiant l’idée même de gravité –, il composait des tableaux vivants toujours mobiles où des « kyrielles de guiboles » féminines servaient à la fois d’armature et de leitmotiv.
Les corps féminins, dans ces numéros de danse où seule la caméra, en vérité, dansait, tant elle était capable de s’infiltrer partout, étaient le matériau abstrait de grandes constructions géométriques, de jeux d’anamorphoses et d’illusions optiques. Ces objets filmiques prodigieux n’en portaient pas moins – tel que le démontre ce livre ambitieux où la biographie et l’essai se croisent – la marque onirique des avant-gardes, en premier lieu celle du surréalisme. Sous les feux de la rampe, les images insensées de Buzz Berkeley ont une puissance magnétique que le cinéma commercial américain retrouvera rarement ensuite. Construits avec « l’iris éveillé », ses travaux sont « aussi évanescents que le sable ». Ils ont « l’étoffe des mirages ».
C’était l’époque des « chorus girls », ces jeunes femmes qui, sur les planches de Broadway (où Berkeley fit ses gammes) et dans les gigantesques studios californiens, espéraient faire carrière. La plupart du temps, elles ne dépassaient pas le statut de simples silhouettes dans la grande machinerie de l’usine à rêve. Buzz, pourtant, qui les sélectionnait un peu partout en se basant sur son fétichisme des jambes galbées, ne manquait jamais de faire apparaître dans le film, ne serait-ce qu’une fois, leurs visages. Ainsi, il donnait une existence à ces femmes qui ne semblaient a priori occuper l’écran qu’en fonction de leur nombre. Ne se démultipliaient-elles pas en des alignements sans fin où mille et un bras, telle la déesse Shiva, virevoltaient ? Il faut dire que notre homme – surnommé « le centupleur » tant il ne faisait pas dans la demi-mesure – avait aussi fait ses gammes dans l’armée, où il coordonna les défilés militaires. Une manière d’organiser au millimètre des mouvements de masse dont il se souviendra dans ses numéros d’équilibriste.
Séverine Danflous et Pierre-Julien Marest ont décidé dans leur ouvrage d’accorder encore un supplément d’existence à ces actrices en proposant au lecteur de courtes biographies de 70 d’entre elles qui, pour la plupart, n’auront fait que passer sur l’écran telles des ombres chinoises. L’exercice n’est pas gratuit : cette litanie de destins médiocres, frustrés ou tragiques dit bien évidemment beaucoup du Hollywood de l’époque et d’un pays économiquement fragilisé. Cela parle, évidemment, du sexisme rampant d’une industrie qui ne s’encombrait guère de morale, et cela parle aussi, en creux, des dérives et luttes de pouvoir dans un univers mafieux (la prohibition était encore à l’ordre du jour).
Car ce livre est aussi une histoire d’Hollywood, de la grandeur et de la chute des grands « moguls » de la Warner ou de la MGM, ces hommes d’affaires calculateurs dont des artisans comme Berkeley dépendaient. Car à Hollywood comme ailleurs, qui saura monter haut risquera toujours de tomber très bas. Et Berkeley n’échappera pas à la règle. Il aura, au fil des années, malgré les succès, de plus en plus de mal à se faire une place dans le grand barnum et filmera de moins en moins, jusqu’à extinction complète des feux.
Érudit et richement illustré, ce livre aborde son sujet sous tous les angles, avec humour et finesse, convoquant Barthes et Philip K. Dick, Breton et Leiris. Il passe sans transition de l’envolée théorique à l’anecdote savoureuse, tout en se permettant quelques « interludes » burlesques (ainsi de l’apparition de l’évêque Berkeley, convoqué pour le plaisir de l’homonymie) ou plus sérieuses (le rappel d’une célèbre publicité pour eau minérale qui doit beaucoup, et même tout, à l’art de Buzz). Ce formaliste délirant, cet inventeur génial, méritait bien un tel hommage.

Guillaume Contré

Busby Berkeley,
l’homme qui fixait des vertiges

Séverine Danflous & Pierre-Julien Marest
Marest, 492 pages, 24

L’enchanteur et ses vertiges Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°251 , mars 2024.
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