La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Le temps des adieux

juin 2023 | Le Matricule des Anges n°244 | par Christophe Dabitch

La Jolie madame Seidenman est une terrible et magnifique plongée dans une Pologne sous le joug nazi – et ses destinées individuelles.

La Jolie Madame Seidenmann

Nous sommes à Varsovie, durant la Seconde Guerre mondiale. Le ghetto est constitué par les nazis, les Juifs sont pourchassés, enfermés, bientôt déportés. Un monde polonais et européen, dont ils font partie, est en train de disparaître et tous les personnages de La Jolie Madame Seidenman sont déterminés d’une façon ou d’une autre par cette puissance destructrice de l’Histoire et par leurs liens avec ceux que les nazis et leurs collaborateurs excluent. Le roman polyphonique d’Andrzej Szczypiorski en explore les répercussions profondes chez chacun par chapitres alternés. De façon inexorable, aucun ne semble pouvoir échapper ni à l’Histoire ni à son histoire. Le titre original du livre, Le Commencement, sans doute plus juste que son titre international, est explicité dans un chapitre sur le jeune Pawel qui a perdu son ami juif et se dit, avec un glissement vers le monologue intérieur caractéristique de ce roman : « Se peut-il qu’il eût alors l’impression non d’une fin, mais d’un commencement ? Se peut-il qu’au moment même où la silhouette d’Henryk disparaissait à ses yeux, il comprît que s’ouvrait un nouveau chapitre qui durerait toute sa vie ? Plus tard, il en serait convaincu. Ce jour-là, penserait-il bien souvent, fut le jour où tout a vraiment commencé, ce jour-là j’ai compris que j’entrais dans le temps des séparations ; des adieux et des éternelles angoisses. Il y en aurait ensuite beaucoup d’autres. » Un temps des adieux en guise de commencement.
L’autre trait stylistique marquant d’Andrzej Szczypiorski est de décrire ses personnages dans le temps présent, et soudain, en quelques lignes, de raconter leur fin, des jours ou des années plus tard, à la façon d’un couperet, comme si par ce bond temporel il éclairait à nouveau leur vie présente à laquelle il revient ensuite. On les suit avec en tête cette issue que l’on sait. Ce lyrisme contenu et cette mélancolie antisentimentaliste font exister chacun dans une dimension naturellement tragique. Ainsi à propos du tailleur Kujwaski qui rachète des œuvres d’art à des Juifs menacés, sans discuter les prix, pour espérer en faire plus tard don à une Pologne redevenue indépendante : « Mais il ne devait pas connaître ce temps qui n’adviendrait que lorsque ses os reposeraient depuis longtemps dans une fosse commune parmi ceux de bien d’autres victimes des massacres de rue de l’automne 1943. » Ainsi Irma Seidenman, dénoncée par un collaborateur juif des nazis, qui échappe à la mort grâce à une fausse identité et à la solidarité de plusieurs Polonais, mais qui sera victime de l’antisémitisme et des purges dans la Pologne communiste de 1968 puis connaîtra l’exil ; ou le jeune Henryk qui après avoir voulu se révolter contre l’assignation qui le fait juif et donc victime, choisit de volontairement aller au ghetto en disant « je rentre », pour en finir ; ou la jeune sœur d’Henryk qu’une autre chaîne de solidarité fait sortir du ghetto pour la confier à une religieuse décidée à la transformer en catholique qui, des années plus tard, en Israël, assistant à l’arrestation humiliante d’une famille palestinienne par l’armée, ressentira d’abord ce désir de revanche universelle et de puissance d’après la Shoah, puis la conscience qu’aucune violence ne réparera le passé, et enfin une terrible indifférence : « Plus tard, elle s’y habitua et elle n’en ressentit plus ni satisfaction ni désagrément. » Mis à part certains portraits au vitriol (dont celui saisissant du banal nazi), c’est une forme de tendresse consciente de la faiblesse de chacun qui s’instaure peu à peu à la lecture. Un curieux mélange de distance et de sympathie.
Andrzej Szczypiorski, né en 1928 à Varsovie et mort en 2000, a écrit tardivement ce récit paru en polonais en 1986, et une première fois en français en 1988 avant cette nouvelle traduction. Il a participé au soulèvement armé de Varsovie contre les nazis, puis a été communiste avant de prendre des distances en 1968, de devenir un opposant et être un temps emprisonné au début des années 1980. Ce récit est sans doute celui d’un homme qui a vu de nombreux commencements et fins. Il mêle le romanesque aux questionnements moraux, politiques et religieux ; il raconte des destinées individuelles prises dans les engrenages de l’Histoire où « le conditionnel n’existe pas ». C’est également un portrait douloureux de la Pologne, parfois plein de honte et rage, de son antisémitisme, sa servilité et ses manquements, la peinture d’un temps communiste dominé par le mensonge et la crainte, mais aussi et surtout la narration d’un monde disparu, unique parce qu’il était polyphonique et que certains personnages s’obstinaient à faire le bien, sans le théoriser ni même le formuler : quelque chose en eux leur dictait.

Christophe Dabitch

La Jolie Madame Seidenman
Andrzej Szczypiorski
Traduit du polonais par Gérard Conio
Préface de Chimamanda Ngozi Adichie
Noir sur blanc, 256 pages, 23

Le temps des adieux Par Christophe Dabitch
Le Matricule des Anges n°244 , juin 2023.
LMDA papier n°244
6,90 
LMDA PDF n°244
4,00