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Domaine étranger Terres inexplorées

mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251 | par Camille Cloarec

Avec détermination, courage et acuité, le premier roman de Szilvia Molnar nous fait pénétrer les affres de la dépression post-partum et s’inscrit comme un ouvrage incontournable sur le sujet.

Avant, j’étais traductrice, à présent, je suis un milk-bar – un bar à lait. » Nous pourrions nous contenter de cette phrase lapidaire et imaginer, à partir de la quatrième de couverture, tout le reste – un livre sur l’entrée fracassante dans la maternité qui, en mettant en lumière les côtés obscurs de l’expérience, ne fait pas l’impasse sur l’incroyable bonheur qu’elle procure. Cependant, aussitôt ouvert, le livre nous interpelle. La citation d’Anne Carson en exergue. L’effet étouffant, moite, du mois d’août sur un petit appartement new-yorkais. L’évocation du moment chargé d’émotion qu’est la naissance : « Quand ils l’ont posée sur ma poitrine, tôt ce matin-là, j’étais comme ces rebuts qu’on voit sur les bords des routes fréquentées, un objet dont la valeur s’est perdue ». Assurément, ce que la narratrice nous raconte semble davantage tendre vers la perte que vers le gain.
La perte immédiate de son identité, tout d’abord, est vécue comme une sorte de châtiment devant lequel il n’y a d’autre choix que de s’écraser. Les mots qui habillaient son quotidien lui échappent. La liberté dont elle jouissait, seule à son bureau, s’est fait la malle. À présent, il est question de couches, de linge sale, de pleurs, de succion. Quant aux repères, ils ont volé en éclats : plus de trace de la temporalité telle qu’elle existait jusque-là (« je peux sentir le goût du temps, et le temps a le goût de ma mauvaise haleine »), et que dire de l’espace, qui s’est refermé sur elle sans échappatoire aucune ? « La taille de l’appartement est le contour de mon corps », nous confie-t-elle. Ce même corps qui vient de donner la vie et ne répond plus, déchiré par le traumatisme de l’accouchement, entre enfin en littérature, avec force et précision. Sa multitude de dysfonctionnements, les quantités de sang qui s’en échappent, la douleur et le dégoût qu’il inspire prennent plus de place que le bébé, surnommé Button, qui a tout au plus droit à quelques apparitions en pleurs. « Qu’est-ce qui s’est passé ? me suis-je demandé. Une sorte d’accident de voiture, dont je sentais encore l’écho dans tout mon corps. Mon corps qui avait été traîné partout comme de la chair découpée qu’on s’apprêtait à recoudre ou à agrafer. »
Le récit suinte la détresse. Les courts chapitres se superposent sans ordre aucun : l’heureuse et nostalgique attente de sa petite fille ; le raz-de-marée que représente son arrivée et qui la laisse en état de choc ; les mystérieuses visites du voisin du dessus, un vieil homme mourant traînant sa bonbonne d’oxygène ; le poids démesuré du nouveau quotidien à trois, dont la quasi-totalité semble reposer sur ses épaules. C’est cette disproportion qui interroge. Parfois, dans un éclair de combativité, la jeune mère se demande sur ce qui a bien pu la jeter dans ce piège. « Je m’appuie contre le dossier, le ventre encore enflé, et je me demande si c’est comme ça qu’on construit une famille – par le déséquilibre ? » L’ombre de son conjoint va et vient au fil des pages ; la pétillance et l’optimisme qu’il affiche forment un contrepoint déroutant à l’état de désolation dans lequel elle se trouve. Le récit creuse cette inégalité en s’attaquant à l’implicite, au tacite, au flou qui entourent l’enfantement. « Y a-t-il déjà eu, dans la littérature, une description de ce que ça implique de changer la couche d’un nourrisson ? » « Qui se préoccupe de la nature de la domesticité ? » Autant de questions invisibilisées qui concernent pourtant chacun et chacune de nous. L’écriture audacieuse de Szilvia Molnar s’empare de l’infinie succession de nuits sans sommeil, des fulgurantes pulsions de meurtres, de la morne répétition des tâches, de l’injustice sociale et intime qui noie les mères, avec un besoin viscéral de les faire connaître et exister en littérature. C’est un pari réussi.

Camille Cloarec

Milk-bar
Szilvia Molnar
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié
Actes Sud, 224 pages, 22

Terres inexplorées Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°251 , mars 2024.
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