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Domaine étranger Paix et guerres

mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251 | par Thierry Cecille

Un adolescent sensible dans la Yougoslavie de Tito : une éducation sentimentale et politique par le Slovène Drago Jančar.

Au commencement du monde

Une fois n’est pas coutume, et sans pour autant rien divulguer d’essentiel, commençons par la fin, le dernier paragraphe : « Quand il prononce ces mots, quand je l’entends murmurer ces mots, il a moins peur, quand j’écris ces mots, j’ai un peu moins peur. Car c’est écrit, c’est le texte, c’est le verbe. Car rien d’autre n’est possible, il n’y a rien hors du verbe, rien sans lui. Danijel sait que c’est ainsi au début comme à la fin, ça ne peut être autrement puisque le verbe était au commencement du monde ». Précisons : le « je » qui parle ici, pour la première fois, est sans doute celui de l’auteur et Danijel est le héros narrateur. Le ton, lui, quelque peu solennel et oraculaire, a à voir avec l’intertexte biblique, régulièrement mis en scène, ou plutôt en voix. Quant au choix du prénom, nous ne pouvons nous empêcher de le rapprocher de celui qui, parmi les prophètes, notons-le, descendit dans la fosse aux lions : Danijel, se retournant vers son passé, devient comme le prophète de sa propre existence.
Drago Jančar a comme délégué la parole à ce personnage pour raconter ce qui fut, croit-on deviner, un épisode-clé de sa propre jeunesse. Né en 1948, fils, comme Danijel, d’un père résistant et déporté, il n’attendit guère pour s’opposer au régime de Tito : dès 1974 il connut la prison. Romancier reconnu et récompensé (Prix européen de littérature en 2011 – voir Lmda N°128), il est un digne héritier des grands écrivains de la Mitteleuropa, sachant mêler les strates temporelles, plonger leurs personnages dans le flot désordonné des événements historiques. Ce jeu de construction, cette profondeur et ces échos vont se retrouver dans l’intrigue de ce roman.
Nous sommes dans une bourgade près de Maribor, en Slovénie, aux bords de la Drave, au début des années 1960. Tito règne et le pays semble enfin paisible, dans l’attente des lendemains qui chanteraient enfin et viendraient récompenser les sacrifices civils et les efforts guerriers de la Seconde Guerre mondiale. La paix, cependant, ne serait qu’une surface fragile, comme la couche de glace qui fait croire que l’on peut marcher sur la rivière gelée, alors que celle-ci peut se briser à tout moment sous nos pas. Mentor de ce Télémaque encore naïf qu’est Danijel, le professeur Fabjan, avant de disparaître mystérieusement entre les mains de la milice, lui offrira quelques leçons à méditer : « Si l’on étudie l’histoire, disait-il, alors on sait que dans le monde où on a été placé, il existe un quantum de violence qui fonctionne avec sa propre inertie. L’inertie, mon cher, ça signifie que les choses marchent toutes seules. C’est le principe qui dit qu’on peut bien éliminer la violence à un bout, elle pétera quand même ailleurs plus tard ». Violence, parfois contenue, parfois explosive, du père, rescapé d’Auschwitz, qui ne cesse de rivaliser avec ses camarades, anciens partisans, dans des récits toujours recommencés. Violence du triangle amoureux qui voit la belle et pure – au départ – Lena, que Danijel ne cesse d’épier, écartelée entre le terne mais honnête Pepi et le plus fascinant Ljubo, séducteur pourvu d’une moto annonciatrice d’horizons lointains. Violence discrète de la propagande, que dispensent les enseignants aux « pionniers » dont fait partie Danijel, ou les actualités, montrant, avant Le Train sifflera trois fois, « le maréchal en costume blanc (qui) emmène une belle actrice ou son ami l’empereur d’Ethiopie, dans sa grande Cadillac ». Violence pieuse de l’Église, où sa mère le mène, au grand dépit du père, et où l’on doit avoir, pour communier, « l’âme pure et bien mise en plis ». Même les ouviers que Danijel contemple, se rendant, chaque matin, à l’usine, sont comparés à des « hoplites, encore à demi endormis, le regard absent (…) un immense troupeau d’animaux énormes et lents, bisons, mammouths ou rhinocéros aux larges sabots ».
Danijel, cependant, résiste et se fraie un chemin au milieu de ces guerres intimes, parfois mortelles. Sensible et attentif à tout ce qui l’entoure, il s’échappe parfois dans des rêves nocturnes ou diurnes, ne cesse de se remémorer – modèle ou repoussoir – le roi David, sa lutte contre Goliath, son amour coupable pour Bethsabée. Il se laisse charmer par Vasilka, camarade de son âge plus délurée. Il sait surtout apprécier les senteurs du printemps, les reflets des nuages sur la rivière, il imagine « les âmes invisibles » qui « telle une nuée d’hirondelles rasent la surface de l’eau, se dispersent, virent brusquement ». Et quand il pressent la menace du destin, il ose une prière impossible : « Ce mois de vacances de juillet, il aurait fallu l’arrêter. Fermer la porte au sommet des Alpes pour que jamais plus les vents du nord ne l’atteignent, pour le retenir ici ».

Thierry Cecille

Au commencement du monde
Drago Jančar
Traduit du slovène par Andrée Lück Gaye
Phébus, 320 pages, 22,50

Paix et guerres Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°251 , mars 2024.
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