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Poésie La hache d’Hopkins

juin 2023 | Le Matricule des Anges n°244 | par Emmanuel Laugier

Le poète anglais ouvre dans l’Europe de la fin du XIXe siècle, par la pratique d’un vers au « rythme abrupt », une modernité qu’il sera le seul à incarner contre l’ordre dominant de son époque.

Europe N°1129

(Gerard Manley Hopkins / Stig Dagerman)

Plus de vingt ans après les deux rééditions majeures de Gerard Manley Hopkins, celle du choix que firent Hélène Bokanowski et Louis-René des Forêts des Carnets, pages de journaux et lettres (William Blake & co, 1997) et de Grandeur de Dieu (traduit par Jean Mambrino – Nous, 1999), la revue Europe revient vers Hopkins. Il n’est pas anodin que les éditeurs et poètes Jean-Paul Michel et Benoit Casas (qui prépare une nouvelle traduction des œuvres poétiques) aient été tous deux saisis au début du siècle par la force tourbillonnante de ce que Hopkins appela le « sprung rhythm  », le rythme abrupt ou bondissant, et par la façon dont il ausculta, par une sensibilité à fleur de peau, la société victorienne, si injuste. Et embarqués par les derniers écrits d’Hopkins, si scandaleux pour le clan jésuite. C’est que Dieu se retrouve littéralement invectivé pour ses manquements dans ce que l’on nommera les Sonnets terribles, poèmes de la dernière crise existentielle majeure qui envahit le poète à la fin de sa courte vie (il meurt à 45 ans emporté par une fièvre typhoïde en 1889), et par laquelle sa foi, remise en question, s’affronte à quelque chose comme un athéisme balbutiant. Bien plus tard, c’est à la volonté de croire à un communisme de pensée que ses lettres, comme son poème « Tom’s Garland (sur les chômeurs) », renverront aussi. Le texte « Le Cristal terrible » (p. 6-24) que le poète Luis Cernuda écrit lors de ses années d’exil au Mexique rappelle ce tournant par le fin entremêlement de documents biographiques (carnet, lettres), des axes existentiels et religieux (converti au catholicisme en 1866, ordonné prêtre jésuite en 1877) et de l’évolution de sa poétique. Jean-Louis Jacquier-Roux en documente le versant étranger par la réception d’Hopkins chez Beppe Fenoglio (l’auteur de La Guerre sur les collines), traducteur, en 1951, de plus de vingt poèmes.
Les notes du Journal, par le décryptage inouï qu’Hopkins y fait de la nature, condensent toute la « matérialité d’une langue (qui) nous heurte, nous fait violence » précise Mathieu Jung. Caractérisées par les mots de « pied beauty » (« beauté piolée  » – Pierre Leyris), la nature et son observation le conduisent à inventer, notamment, le terme d’Inscape, « qui désigne la réalité d’une présence, son originalité, (…) son motif intrinsèque » et que Claude Dourguin synthétise dans « Un poète aux aguets du monde », tandis que Jonathan Pollock contribue par son « Hopkins l’oiseleur » à en préciser les origines, mais aussi sa pensée, via Duns Scot, de l’immanence.
Jean-Paul Michel, quant à lui, y décrit les apports du poète point par point, dont des rapprochements très justes avec la logique d’inventivité de Shakespeare, l’attention « au moindre détail réel de la plus infime part du dehors ». Véritable poésie de l’énergie, la langue de Hopkins se caractérise, y compris dans ses crises aiguës, par une syntaxe au souffle éblouissant, « jet du chalumeau  » (« the blowpipe flame ») dont l’orientation est aussi précise qu’elle est nette dans son foisonnement hirsute. La traduction que fit le poète Ivar Ch’vavar du Naufrage du Deutschland (présentée par M. Jung), long poème écrit à la suite du naufrage sur la Tamise du navire éponyme la nuit du 6 au 7 décembre 1875, et où cinq Franciscaines allemandes périrent, en donne le ton. Il offre là une version dont la sobriété tourmentée est marquante, telle cette « mer écaille-de-silex, dos noir, dans la rafale régulière ;/assis à l’Est-Nord-Est, secteur maudit, le vent ;/Drue et d’un blanc éblouissant, tourbillonnant dans l’enroulement du vent, neige/Pivote sur les abîmes qui font les veuves, enlèvent pères et enfants  ». Les poèmes d’Hopkins œuvrent toujours à un esprit de pointe extraordinairement habité. Son « intuition est chose de l’esprit » dont le travail, dit Adrian Grafe, consiste à devoir « l’engendrer sur le papier ». C’est la tâche à laquelle s’est aussi magnifiquement attelée, et avec quelle réussite, François Laroque en traduisant et commentant « Les Peupliers de Binsey », « fascinante via negativa » ou « catéchisme de la déchirure ».

Emmanuel Laugier

Europe N°1129
Gerard Manley Hopkins/Stig Dagerman,
362 pages, 22

La hache d’Hopkins Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°244 , juin 2023.
LMDA papier n°244
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