Gare à celui qui osera encore dire que les filles sont des mauviettes ou des salopes, qu’elles n’ont que ce qu’elles méritent, à savoir coups, humiliations, viols. C’est fini. L’heure est à la relève sinon à la révolution. Dahlia de la Cerda brandit une littérature d’un genre nouveau, combine des mixes plutôt contraires : des coups de poing et de la tendresse, un parler populaire, vulgaire, bruissant tout chaud du macadam et une finesse d’esprit à faire crever de jalousie nos piètres penseurs. Les onze nouvelles de son recueil Chiennes de garde composent une sorte de roman, puisque les narratrices vont d’un texte à l’autre, d’un premier rôle à un second. Chacune dit « je », adopte une perspective différente et poursuit son histoire, qui devient une histoire commune. Même mortes, elles font le récit de leurs vies, comme une parole venue d’un autre monde, celui de la fiction où tout est possible. Les héroïnes de la Cerda ont la poisse : celle d’être nées femmes dans un monde d’hommes, dans un monde de capitalisme effréné, sans foi ni loi, sauf celle de l’église, sauf celle des politiques plus ou moins véreux, sauf celle des narcos et autres trafiquants d’armes. Elles sont odieusement riches ou terriblement pauvres, folles de leurs corps ou complètement abattues, killeuses sans remords ou travailleuses à la chaîne, séductrices ou peureuses, adeptes de la défonce, de la picole, de coucheries de dingue ou submergées de désespoir : toutes ont la violence en héritage, la vivent intimement, et s’en défendent à coups d’esbroufe. Elles encaissent, sortent leur tube de rouge à lèvres, et c’est reparti. De la Cerda fait de ses femmes, les crétines comme les enfantines, des Superwomen, des êtres de colère et de rage, prêtes à la vengeance, prêtent à imaginer la dignité. La soumission, non merci. Elles se rebiffent, crachent la haine sans jamais se départir d’une pointe d’ironie. L’autrice, présentée activiste féministe, utilise l’humour noir comme arme de déflagration. Son écriture est nerveuse, mieux, elle est excitée, comme rythmée par un instinct de survie, un souffle d’insurrection : « Je préfère mourir sur un champ de bataille plutôt que de vivre enchaînée, brandir ma kalach plutôt que de continuer à acheter des fringues d’occase. »
Dahlia de la Cerda subjugue dès la première page, elle transgresse les normes du récit avec son franc-parler et son rythme d’enfer. Dans « Persil et Coca-Cola », elle met en scène une jeune femme qui part en guerre contre son ventre. Elle ingurgite des pilules abortives, se plante devant des séries TV et attend. Tout y passe, douleurs, hargnes, n’empêche : « Je ne connaissais pas le prénom du type, et je n’avais aucune envie de le connaître. Ses performances ne parlaient pas en sa faveur. Oui, je suis enceinte d’un type qui baise super mal. » Vlan !
Martine Laval
Chiennes de garde
Dahlia de la Cerda
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Lise Belperron
Éditions du Sous-Sol, 236 pages, 21,50 €
Domaine étranger Ni dieu, ni mec
mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251
| par
Martine Laval
Avec ses Chiennes de garde, Dahlia de la Cerda en met plein la vue – et même la gueule. Petit traité de féminisme et de survie dans la jungle mexicaine d’aujourd’hui.
Un livre
Ni dieu, ni mec
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°251
, mars 2024.