C’est un beau titre emprunté à Virginia Woolf et un premier roman intrigant. De la destruction le lecteur ne perçoit au début pas grand-chose : il s’agit pour la toute jeune héroïne et narratrice d’emménager avec sa mère dans leur nouvel appartement. La mère et l’écrivaine meublent donc l’espace d’objets et de notations réalistes – façon Minuit. Alternent alors scènes domestiques et scènes d’école, tableaux de jour, tableaux de nuit. Mais cet équilibre est soumis à des perturbations de plus en plus inquiétantes – disons qu’elles ont trait à des sensations fulgurantes (le plaisir, la peur) et à des visites, programmées (l’amie, la grand-mère) ou non (la mère). Ce n’est qu’à la deuxième lecture que l’on repérera les mots, les gestes et les choses à partir de quoi tout vrille (« Elsa ? » ou « Elsa, tu dors ? », le couteau dominical qui « se glisse sous l’épicarpe et pénètre lentement la chair dure et juteuse » d’une poire, les bagues héritées, les leitmotive marins).
Pauline Peyrade n’en est plus à ses débuts. Elle publie depuis 2016 des pièces (Bois impériaux, Portrait d’une sirène, À la carabine…) et a déjà adapté L’âge de détruire au Théâtre Ouvert. Au théâtre, elle emprunte un art de la découpe, qu’il s’agisse des brefs dialogues mère-fille ou du montage alterné de scènes, très réussi dans la seconde moitié du roman. Dans la continuité de ses pièces, elle met en scène l’épreuve de la violence par des femmes et son possible retournement. La nouveauté de son récit tient à ce qu’il retrace une éducation à la violence, et une violence exclusivement féminine ; aucune ombre d’homme ne traverse le livre – rien que cela en justifierait la lecture ! Quelque chose néanmoins ne prend pas tout à fait dans la tentative de symboliser l’ambivalente passation maternelle des pulsions. Une prudence vis-à-vis du fantastique et du conte, vers lesquels l’écriture pourtant louche, une certaine froideur des descriptions, empêchent d’être complètement pris – par les personnages ou le style.
Chloé Brendlé
L’âge de détruire
Pauline Peyrade
Éditions de Minuit, 157 pages, 16 €
Domaine français L’âge de détruire
janvier 2023 | Le Matricule des Anges n°239
| par
Chloé Brendlé
Un livre
L’âge de détruire
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°239
, janvier 2023.