Un livre

Mon coeur bat vite

de Nadia Chonville

Editions Mémoire d'encrier

La Martinique se vit dès l’heure bleue où le jour n’est pas encore né, mais vagit déjà dans la brume qui l’accouche. » C’est à ce moment précis de la journée, qui précède l’aube, qu’Édith découvre l’assassinat de son fils, Cédric, par sa sœur Kim. Le choc puis la fureur laissent ensuite place au désarroi. Comment a-t-elle pu devenir cette meurtrière ? Il faut remonter jusqu’à Ayo, leur ancêtre, la première de la famille à avoir foulé le sol de la Martinique. Cette prêtresse, connue pour son double pouvoir de guérisseuse et d’empoisonneuse, est à l’origine de la lignée de femmes maudites desquelles sont issues Édith et Kim. L’arrière-petite-fille d’Ayo, Léonide, a eu une fille du viol qu’elle a subi : Sidonie, leur grand-mère. La série d’abus, d’addictions et de tragédies dont elles sont les victimes ne semble jamais vouloir prendre fin. Aussi le sentiment dominant est-il celui de la rage. Au tribunal, Kim déclare ainsi vouloir « rendre à nos mères leurs corps leur peau leurs mains leurs poignets lacérés leurs gorges serrées leurs vulves arrachées leurs entrailles éventrées leurs cœurs qui ne battent plus ». Kim est né garçon. Il a grandi dans le silence avant de partir étudier en France. Là-bas, il a découvert à quoi pouvait bien ressembler la liberté, a commencé à s’identifier en tant que femme et a relégué très loin ses racines, comme tous ces jeunes qui « se jurent sur un bord de route brûlant de ne jamais, jamais revenir sur ce caillou où on crève la gueule ouverte avant de voir passer un bus ». Mais les voix de ses aïeuls, les Souffles, l’ont rattrapée, alimentant sa soif de vengeance.
Dans une Martinique hantée par la violence, Nadia Chonville retrace une généalogie de la colère. Son écriture pétrie de symboles donne corps à des personnages forts, tourmentés et majestueux desquels semblent émerger des poèmes aux allures de prophéties – comme Édith, qui confie : « Je n’ai pas oublié ma blessure. Je l’ai déposée sur les rebords du monde ».

Camille Cloarec

Mon cœur bat vite
Nadia Chonville
Mémoire d’encrier, 216 pages, 20 €