Ce premier roman ne ressemble à rien (d’autre) : c’est un objet hybride, pas toujours bien assemblé, qui laisse voir ses coutures, ses entailles (et ses entrailles). Souvent drôle, parfois pornographique, émouvant, bizarre, il avance de temps en temps sur une fesse, il boite un chouïa.
Guillaume Marie – né en 1979 à Coutances – écrit de la poésie, est publié chez Christophe Chomant, Lanskine et Derrière la salle de bains, ainsi que dans des revues comme Le Cafard hérétique, Le Courage et XYZ. Il fait également partie du collectif Pou, au sein duquel il publie des nouvelles dans la collection « Histoires pédées ».
Les Watères du château commence à fond de train. D’emblée, ce petit délice, les intitulés de chapitres à l’ancienne : « Où l’on prend connaissance du héros de ce livre, qui en est aussi le narrateur, et où l’on entend parler de sa famille pour la première fois ». Notre héros doit passer, une fois par an, au printemps, l’aspirateur dans les étages du château de sa grand-mère. Mais le fil électrique est trop court et les couloirs trop longs pour qu’il puisse atteindre les lieux désignés dans le titre de l’ouvrage. L’adolescent s’inquiète de ce que les invités vont penser de la saleté qui y règne. Il se console avec le fils du jardinier un garçon « d’à peu près mon âge qui me donnait l’exclusivité de l’accès à ce qu’il cachait dans son pantalon ».
Le chapitre suivant (« Où Guillaume fait l’expérience de la forêt obscure »), écrit en vers libres, est délicieusement trouble, moite, ambigu. Au troisième, nous voici à bord d’un voilier. On y découvre que Guillaume est végétarien et n’a pas peur des animaux.
Le lecteur pointilleux aura appris, à la dernière page du livre, qu’une première version de ce troisième chapitre fut publiée chez Pou sous le titre Le Poulpe de la mer Ligure. Et le lecteur le plus distrait n’est pas près d’oublier ce que le poulpe offre comme jouissance au héros. Les mânes de Victor Hugo se retournent, indignés, dans la vieille maison de Guernesey où il écrivit Les Travailleurs de la mer. Sa pieuvre y était beaucoup moins sensuelle…
Et ça continue comme ça, avec un peu de moins bon (une chute de nez à cause du Covid) et beaucoup de très réussi (les projets d’écriture de biographies des philosophes grecs, les anecdotes inventées à propos de Diogène et ses amphores, ou bien Démocrite, « considéré traditionnellement comme le père de la masturbation. ») Partageux, Guillaume Marie ouvre l’avant-dernier chapitre aux contributions des amis, qui tissent, solidairement, la légende du château de l’aïeule. « On disait que le rapport entre la hauteur de la tourelle (en mètres) et la profondeur du puits (en unités constantes, parce qu’on ne divise pas des choux avec des carottes) était un facteur à décimales infinies proche du nombre d’or. » Comprenne qui pourra cette algèbre potagère et délectable.
Anne Kiesel
Les Watères du château
Guillaume Marie
Bouclard, 180 pages, 16 €
Domaine français Le château de sa grand-mère
janvier 2023 | Le Matricule des Anges n°239
| par
Anne Kiesel
Les tribulations pleines d’étrangeté d’un héros ordinaire. un texte en mosaïque drôle, brûlant et troublant.
Un livre
Le château de sa grand-mère
Par
Anne Kiesel
Le Matricule des Anges n°239
, janvier 2023.