Amateurs de littérature blanche, épurée, guimauvée et légère, passez votre chemin ! Académiciens pointilleux au cul serré sur le respect de la langue morte, idem. Gendres en quête d’un cadeau joli pour belles-mères embourgeoisées qui lisent le Figaro-Madame en sirotant du thé anglais, gardez ce livre pour vous. Le nouveau roman, opéra ou « lamento-bouffe » de Christian Prigent n’est pas d’une lecture inoffensive. Si on y rit beaucoup, c’est au prix tout de même du viol permanent de la langue scolaire. On entre là-dedans comme en territoire étranger, douché dru par une langue qui dérape et trébuche, se ramasse et s’invente dans une sorte de carnaval de l’effroi, celui d’un jeune garçon, l’auteur himself. Ou plutôt l’auteur à travers ses âges, de tout petit riquiqui à maintenant, mais pas forcément suivi dans l’ordre chronologique (début d’un chapitre : « Quel âge on s’en fout. Disons un peu avant juste avant, un peu après auparavant. » On n’est pas dans Proust…).
L’effroi qui bouscule les phrases est celui, peut-être, de l’innocence. Ou celui qui naît quand on se rend compte que les mots, ceux des autres ou les siens propres, épaississent le mystère effrayant du monde. Quand les mots font des trous, ouvrent des interrogations plutôt existentielles et n’arrêtent pas de creuser en soi des galeries sombres et humides qui, la nuit, appellent les cauchemars où vont les bêtes, le sang, le sexe et la mort. Grand-mère Quéquette nous les fait visiter ces galeries pour que remontent à notre conscience « le rouge de nos hontes, le bleu de nos peurs, le gris de nos douleurs, l’arc-en-ciel des cris, le spectre de nos crimes. « Galeries va bien : on y trouve des portraits ou on y voit de la peinture. Entrons.
C’est par une aube difficile que débute le livre : réveil douloureux après une nuit à cauchemarder d’assassinats ou de sexe, « À peine pondu, on est dans la honte d’avoir tué du monde en imaginé. Ou d’avoir mangé du qui fallait pas. (…) Ou d’avoir baisé des bouches pas prévues dans le catalogue pour ledit usage. » Dehors, c’est-à-dire à l’extérieur de « moi », c’est le réel avec les autres, papa, maman, les animaux et dans les cabinets, chapitre deux, une voix qui crie : » j’va t’couper la quéquette ! j’va t’couper la quéquette ! C’est grand-mère, elle exagère. Ça me fait quand même du mauvais goût dans les échauguettes. Surtout qu’elle ajoute : dans l’cul la balayette ! dans l’cul la balayette ! Quéquette, balayette, la rime suffit : grand-mère est poète. » Début du portrait de l’aïeule en bretonne qui tonne. Pour la peinture, c’est juste après, notre héros grimpe au grenier faire des natures mortes, c’est peintre qu’il se rêve.
On ne va pas vous tenir la main tout du long ; là on est juste arrivé à la page 35. Il en reste 350. On a commencé l’apprentissage de la langue à Prigent, avec du parler popu et du vrai gallo, de l’ancien français, du latin déjanté et du texto façon SFR, de l’urgence à mettre des mots à la queue leu leu de...
Événement & Grand Fonds Pour rigoler en jaune
septembre 2003 | Le Matricule des Anges n°46
| par
Thierry Guichard
Nouvel opus familial de Christian Prigent, Grand-mère Quéquette arrache des larmes : de rire d’abord, d’émotion ensuite. Et fait de la langue une matière vivante et non un outil mort. Impressionnant.
Un livre