Dans le sillage de Sartre, séminaires et colloques s’épuisèrent un temps sur cette redoutable question : que peut la littérature ? Élisabeth Butterfly, dans son roman, propose une réponse grand-guignolesque : la littérature enfante le crime. Le narrateur de Dissection du mariage, bibliophile éclairé et mari fatigué, croit découvrir, dans un exemplaire de la Physiologie du mariage de Balzac, un passage crypté qui semble inviter à la dissection des épouses. À la lumière d’une formule balzacienne « un homme ne peut se marier sans avoir étudié l’anatomie et avoir disséqué une femme au moins », notre homme va donc préparer le meurtre de son Adrienne c’est-à-dire la « déglinguer comme une mécanique », en « faire de la chair à pâté », la « découper comme une volaille », pour enfin ranger méticuleusement ce qu’il en reste dans des bocaux.
Parallèlement à ce drolatique démembrement de l’épouse, on assiste ici à une assez brillante dissection d’un Balzac fantasmé, sorte de « punk terrifiant », expérimentateur tous azimuts, « puissance inexplicable » détestant les femmes. L’auteur épouse avec brio sa misogynie, de même que celle qui parcourt la grande aventure de l’art et de la médecine, de Léonard de Vinci à Bichat. La curiosité insatiable des écrivains et des hommes de science n’exprimerait-elle que le prosaïque désir de mettre la femme « dans un frigo » ? Seulement voilà, pour le génie comme pour vous et moi, l’échec est au bout du scalpel : « Personne ne sait ce qui se passe sous la peau des femmes ».
Dissection du mariage d’Élisabeth Butterfly
Flammarion - 149 pages, 15 €
Domaine français L’impossible anatomie
septembre 2003 | Le Matricule des Anges n°46
| par
Gilles Magniont
Un livre
L’impossible anatomie
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°46
, septembre 2003.