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Poésie Tout est à ramasser, à sentir

mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251 | par Emmanuel Laugier

Louise Glück, que le prix Nobel de littérature couronna en 2020, laisse des livres dont les expériences cellulaires indiquent l’éclosion de toutes choses.

Recueil collectif de recettes d’hiver

L' Iris sauvage / Meadowlands / Averno

Dès ses premiers livres jusqu’à Ararat (1990), encore inédit en français, qui précède de deux ans le livre qui la fera connaître (L’Iris sauvage, prix Pulitzer), on sent chez Louise Glück (née à New York et issue d’une famille juive hongroise) une façon tout à elle de camper les scènes, ouvertes et énigmatiques, de chacun de ses poèmes. À l’exemple de l’un d’entre eux, où la narratrice évoque sa propre absence : « Je ne me vois jamais, debout sur le perron, tenant la main de ma sœur./C’est pourquoi je ne peux pas expliquer/les bleus sur son bras, à l’endroit où la manche se termine » (Ararat). Pour insister, sans doute, sur la supposée cohésion familiale, ses modes d’amour et de haine, ses faux étonnements, sa naïveté. C’est souvent à partir de cette cellule, construite des rapports entre deux êtres et leurs descendances, ainsi que de toutes les branches qui lui sont attenantes, que Louise Glück élabore le bâti général de ses livres. Ceux-ci, comme dans L’Iris sauvage (1992), greffent le chant de la nature à de multiples références bibliques, ailleurs la référence à l’Odyssée interroge une archéologie de la mémoire (Meadowlands, 1997), ou encore dans Averno (2006), où est revisité, par la figure du lac napolitain éponyme, porte des Enfers, l’histoire de Perséphone et de sa mère la déesse Déméter. Mais toutes ces références, aussi explicites qu’elles puissent être, ne suffisent pas à dire la façon (son « comment dire ») dont Louise Glück conçoit ses livres (qui ne sont pas des recueils) et entrecroise l’apport culturel et réflexif des mythes aux données ordinaires, quotidiennes, communes, de réalités plurielles propres à son temps. Telles que, par exemple, celles d’une rupture entre un homme et une femme, l’abandon ressenti par une mère, la disparition d’une sœur dans l’enfance (« Ma sœur a passé toute une vie dans la terre./Elle est née, elle est morte./Entre-temps,/pas un regard éveillé, pas une phrase », dit-elle dans Lost Love [1990]), une lande brûlée et ravagée, l’errance d’animaux sortis de leurs milieux, etc.
Dans Recueil collectif de recettes d’hiver (2021), son dernier livre publié avant sa mort en 2023, l’autrice entend sa jeune sœur, au seuil de sa propre mort, affiner la différence entre « Tout est fini » et « finir bientôt » : à quoi la supposée narratrice répondra dédaigneusement par « C’est une question stupide ». La sœur, d’être l’élément de la souffrance coupable, devient aussi le mauvais objet, celui de la colère et de l’injustice, à quoi, pourtant, Glück n’aura de cesse de parler via la main de son poème. Ailleurs, dans le même bref livre, la malice de deux dames en maison de repos, les conduit à boire du gin sans glace pour faire croire aux soignants combien elles s’hydratent. Mais au bout de ces bribes narratives, rien n’est donné d’un fil continu, tout au contraire se passe, comme l’écrit Marie Olivier, sa fidèle traductrice, entre un « toujours déjà » et un « pas encore » dont la tension augustinienne se trouve être la parabole de l’existence elle-même.
L’échelle selon laquelle les perceptions s’organisent et discernent les choses est aussi un motif bouleversé chez Glück, comme elle l’énonce frontalement : « Les arbres étaient miniatures, comme je l’ai dit,/mais ça n’existe pas, la mort en miniature ». Comment y répondre ? sinon par l’expérience que le poème fait, pas à pas, et au cas par cas, afin d’approcher « ce qui est malléable, inchoatif, non fini, en devenir, le fixé et l’inaccessible ». Le phrasé de Glück s’est toujours efforcé de répondre à ces quelques impératifs, et aussi simple que sobre, il en véhicule une densité réfractaire à toute signification ou message. Il élargit de ce fait le sens, le déploie, comme ce champ, ouvert et sec, qui « s’embrasa comme du petit bois », nous laissant au bord d’une impossibilité d’y « ramasser » quoi que ce soit, là-même où les chevaux n’y verraient que noirceur et vide inappropriables. C’est que « j’ai essayé d’être exact dans cette description », dit-elle, ne serait-ce que pour que les voies ne se confondent pas, car « j’ai été déjà perdu », à l’endroit où chaque mot se termine.

Emmanuel Laugier

Louise Glück
Recueil collectif de recettes d’hiver
bilingue, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Olivier
Gallimard « Nrf », 92 pages, 16,50
et L’Iris sauvage / Meadowlands / Averno,
bilingue, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Olivier
Poésie/Gallimard, 442 pages, 9,20

Tout est à ramasser, à sentir Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°251 , mars 2024.
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