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Domaine étranger Fuir ! là-bas fuir !

mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251 | par Thierry Cecille

Dans la France de Vichy qui livre aux nazis leurs opposants, l’odyssée périlleuse et admirable d’Hertha Pauli.

La Déchirure du temps

La France, terre d’asile ? Peut-être est-il judicieux de rappeler que notre pays fut en effet, dès le milieu du XIXe siècle, une terre d’accueil pour ceux qui fuyaient l’oppression politique – les révolutionnaires du printemps des peuples – ou les massacres – les juifs victimes des pogroms. Parmi eux, Heine, le grand poète allemand, fut pendant des années un observateur sagace du Paris d’alors (Lutèce – voir Lmda N°99). Se retournant vers son passé, il formula ainsi sa nostalgie : « Mon cœur est traversé par la déchirure du temps ». Un siècle plus tard, Hertha Pauli se reconnaît dans cette métaphore et précise, en un court prologue, le but qu’elle poursuit : « Ce livre se propose de jeter un pont entre hier et aujourd’hui – pour mes amis et pour moi. Un pont fait de pensées, de souvenirs et d’images, qui défierait la déchirure du temps ».
La qualité essentielle de ces mémoires réside peut-être dans cette faculté qu’a la narratrice de donner à des anecdotes intimes, à des incidents, des impressions, des jugements qui sembleraient à première vue fugaces ou anodins, une signification plus vaste, d’en faire les révélateurs de l’Histoire majuscule au sein de laquelle se succèdent les étapes de son histoire personnelle. Les premières pages nous plongent ainsi, en mars 1938, dans l’atmosphère des cafés viennois où Hertha, qui fut actrice, se réjouit de la récente publication de sa biographie de la pacifiste Bertha von Suttner, prix Nobel de la paix en 1905. Elle en discute avec ses amis, artistes et écrivains, dont son compagnon Carli et le poète Walter Mehring, bête noire des nazis. De fait la menace hitlérienne obscurcit l’horizon et, quelques semaines plus tard, c’est l’Anschluss. La fuite commence.
La voici à Paris : « La Ville Lumière nous semble changée, assombrie. Nous nous glissons entre les murs oppressants de ruelles étroites (…). Nous trouvons Paris changé. Parce qu’il ne nous offre pas d’issue ». Des mois durant, il lui faut alors se débattre pour franchir les frontières, obtenir carte de séjour, papiers d’identité, visa. Préfectures et mairies, consulats et ambassades, gendarmeries et camps d’internement sont autant de menaces, pièges et chausse-trapes. Au-dessus de ce labyrinthe demeurent toujours l’épée de Damoclès de l’arrestation et, une fois que les conditions de l’armistice l’ont précisé, l’issue fatale : être remis entre les mains des nazis par la police de Vichy. La succession de ces épreuves ne peut que nous rappeler celles, semblables, que doit subir le héros de Transit, le chef-d’œuvre d’Anna Seghers – mais ce n’est pas à un roman qu’ici nous avons affaire. L’écriture à la fois vibrante et retenue d’Hertha Pauli se fait parfois bouleversante, ainsi lorsqu’elle raconte les morts successives, accidentelles ou volontaires, de Joseph Roth, d’Ödön von Horváth, d’Ernst Weiss… Mais elle sait également évoquer une sorte d’idylle imprévisible, un « intermède » amoureux, un « béguin » avec un beau menuisier, à l’abri d’un village perdu du Lot. Cependant, même là, l’Histoire surgit : lors d’un « méchoui » au bord de la rivière, un anarchiste les interpelle : « Il nous demande incidemment si nous sommes déjà au courant du pacte entre Hitler et Staline. Je prends d’abord ça pour un conte d’horreur ».
À l’exode (des pages terrifiantes) succède l’attente à Marseille – et l’angoisse peu à peu prend toute la place : « Nous sentons le nœud coulant se resserrer autour de notre cou ». Par bonheur, comme pour des centaines d’autres (pensons à Breton, à Chagall…), le destin met sur leur chemin un ange salvateur, Varian Fry. Deux ans après avoir dû quitter Vienne, Hertha, dans les dernières pages, atteint enfin l’Amérique tant désirée : « Nous avons débarqué le 12 septembre 1940 à Hoboken, New Jersey. Nous étions tous sur le pont, éblouis par la statue de la Liberté qui surgit devant nous dans la grisaille de l’aube. Je m’étonnai de ne pas la voir tenir une épée mais un flambeau, car je ne la connaissais que par les livres – et Franz Kafka l’avait décrite avec une épée ».

Thierry Cecille

La Déchirure du temps
Hertha Pauli
Traduit de l’allemand (Autriche) par Élisabeth Landes
Liana Levi, 263 pages, 22

Fuir ! là-bas fuir ! Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°251 , mars 2024.
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