Thomas King nous revient avec un roman savoureux qui s’en prend au tourisme de masse tout en se confrontant avec justesse aux drames contemporains. Mimi Bull Shield, Pied-Noire du Canada, et Blackbird Mavrias, Cherokee, forment un couple d’autochtones vieillissant et attachant. Les voilà en vadrouille à Prague, le nez plongé dans leur guide touristique, hébergés dans un hôtel moite truffé d’araignées, luttant contre les maux propres au grand âge. L’énergie et l’excitation de Mimi, qui « est convaincue que les voyages arrêtent le temps. À tout le moins, qu’ils le ralentissent », semblent inépuisables. Un point de vue guère partagé par son compagnon, poursuivi où qu’il se trouve par de nombreux démons, dont les fameux Dédé-1 et Dédé-2 (respectivement dépression et désespoir). Pour ce dernier, mieux vaut rester chez soi que de « perdre son temps à errer dans une ville bizarre pour regarder de vieux bâtiments inintéressants en espérant tomber sur quelqu’un qui parle anglais ».
Le couple est sur les traces de l’oncle Leroy, qui selon la légende familiale s’est exilé en Europe à la suite de son opposition au pouvoir colonial. Au détour des excursions quotidiennes dans la capitale tchèque, entrecoupées d’incursions dans le passé et de dialogues délicieux aux répliques bien calibrées, nous sommes confrontés à l’infini ridicule des touristes partout dans le monde, au racisme sans frontières et aux traumatismes indélébiles liés à l’identité autochtone. La quête de Mimi et Blackbird les mène en gare de Budapest, qui déborde alors de réfugiés entassés dans des conditions inhumaines. A-t-on le droit de fermer les yeux sur ce que l’on voit ? Et que faire de tout ce que l’on ne voit pas ? Qu’est-ce que l’art (Mimi est artiste peintre, Blackbird est journaliste) peut apporter comme compensation ? Autant de questions dont se saisit Thomas King avec un parfait mélange de finesse, d’humour et de désabusement. Car c’est bien le verdict final de Mimi qui semble le plus correct : « on peut tout faire ou presque. Et on fait ça ».
Camille Cloarec
Les Indiens s’amusent
Thomas King
Traduit de l’anglais (Canada) par Catherine Ego
Mémoire d’encrier, 393 pages, 22 €
Domaine étranger Les Indiens s’amusent
février 2024 | Le Matricule des Anges n°250
| par
Camille Cloarec
Un livre
Les Indiens s’amusent
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°250
, février 2024.