Vingt ans loin de ce « coin d’ouest océanique du bout de la France ». Longtemps les missions au Canada ou au Liban ont éloigné Lucas, le narrateur, de cette terre « où le soleil illumine un marais d’eaux vivantes ». Un jour, cet ingénieur spécialisé en hydrologie revient au pays pour y retrouver ses fantômes : « J’avais à affronter ici mes empreintes, les souvenirs de jeunesse, ma famille, les morts et les vivants ». Comme si, exilé sous d’autres latitudes, cet homme dans la quarantaine avait tenu à distance une mémoire traumatique… Soyons tout à fait franc, nous ne connaissions pas Cathie Barreau qui a pourtant publié une douzaine de livres déjà, poésie, nouvelles et, donc, comme ici à nouveau, romans. Cette Vendéenne entrée dans la soixantaine signe avec L’Oiseau blanc un beau livre de géographie intérieure. Un récit où personnages et paysages, les uns et les autres très incarnés, sont intimement liés. Un roman où le narrateur, appuyant là où ça fait mal, cherche du sens dans les signes que lui offrent les êtres et les saisons chaotiques. Le danger de la montée des eaux (« un raz de marée possible ») va de pair en effet avec la révélation d’un lointain passé qui remonte à la surface du présent, comme une lame de fond venue du début du XXe siècle. Ainsi se déplient, jusqu’alors passés sous silence, « les épisodes d’une épopée » familiale. Immergé dans l’ambiance de cette langue de terre entre mer et salines, le lecteur suit Lucas dans une enquête qui a tout d’une quête identitaire : « Les drames du XXe siècle me rattrapaient, venus des mémoires de mes ancêtres, de leurs ombres sur le pays. »
En interrogeant les souvenirs des vivants et la transmission entre générations, Cathie Barreau nous rappelle avec sensibilité que nos histoires personnelles sont tissées de secrets et de non-dits, de désirs enfouis et d’espoirs enfuis. Dans une langue portée à et par l’émotion, elle déchiffre la grammaire d’une généalogie particulière et éclaire une terre de sel à ciel ouvert. Anthony Dufraisse
L’Oiseau blanc
Cathie Barreau
L’Œil ébloui, 170 pages, 18 €
Domaine français L' Oiseau blanc
avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Le Matricule des Anges n°242
, avril 2023.