Sur les photos proposées par l’éditeur, Franck Mignot a l’œil rieur. Il ne faut (évidemment) pas se fier à l’apathie du titre de ce premier roman. On est tout de suite prévenu : il ne dédicace son livre ni à son épouse bien-aimée, ni à X et Y, ses enfants chéris, mais « À la merde qui sent toujours, quoi qu’il arrive ». Compte-t-il suivre la voie ouverte, en 2011 chez le même éditeur, par Thomas Hairmont qui avait commis un réjouissant (et également premier) roman, Le Coprophile ? Fausse piste aussi.
Son narrateur, qui se raconte à la première personne, décrit son quotidien ordinaire de père de jeunes enfants. Il vit en Bretagne, ne partage plus grand-chose avec sa femme. Il se contente d’acheter des croissants le dimanche, de comparer les avantages de la cafetière italienne et de la grosse cafetière électrique. Et il reluque les mères d’élèves qu’il croise à la sortie de l’école ou à la plage. Dont cette Parisienne, qui vient de s’installer dans la commune, avec mari et enfants. À la lecture d’un article sur le féminisme, il se sent proche de « tous ces hommes castrés qui ne baisaient pas ».
Franck Mignot raconte malicieusement le banal. Son personnage croise une femme, imagine qu’elle a passé son week-end à peindre des murs, sans hésiter entre « Glycéro / acrylique / peintureécobiobonnepourlaplanètekidsfriendly… » Il parle de sa frustration sexuelle avec une paradoxale légèreté : « on ne se disputait pas pour pouvoir faire l’amour. Nous ne faisions plus l’amour. Je pouvais dire baiser, car j’aimais que ce mot sente le cul dans ma bouche. » Il manie une sorte d’humour froid, distancié. Et ce recul maîtrisé prend sa saveur quand tout se met à déraper dans les très grandes largeurs, à la fin du livre. On se croirait dans un délire que nous pouvons imaginer : si nous prenions tel objet pour pratiquer un acte totalement violent et parfaitement interdit, que se passerait-il ? Avec l’avantage d’être en mesure, ici, de conduire le récit jusqu’à son issue. C’est salutaire. Et au moins le lecteur, réjoui, ne finit pas devant une cour d’assises.
Anne Kiesel
Mollesse
Franck Mignot
P.O.L, 144 pages, 17 €
Domaine français
avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242
| par
Anne Kiesel
Un livre
Par
Anne Kiesel
Le Matricule des Anges n°242
, avril 2023.