Sa mère a des senteurs de fleur d’acacia et de feuille de laurier. Son pays, lui, « traîne dans son sillage un parfum de terreur ». Son pays ? Le Togo. Un petit rectangle tracé par les pouvoirs et les caprices de l’Histoire au creux du golfe de Guinée. Cette terre ne veut pas de lui, l’opposant au Père Fouettard (joli surnom pour un dictateur) « car au Togo ce n’est pas la réalité qui fâche. C’est sa description. » Kossi Efoui est jeune et a des rêves de révolte, de poésie. Ses écrits lui valent la prison et son lot d’humiliations mais aussi une bourse en France, la si accueillante France… Kossi Efoui est poète, dramaturge, romancier. Solo d’un revenant (Seuil, 2009) a raflé trois prix – les Tropiques, l’Ahmadou-Kourouma et celui des Cinq continents de la francophonie – une façon de saluer son talent à cracher de la poésie sur la violence, à répliquer avec des mots de tendresse aux assauts de la folie meurtrière, comme dans son nouveau livre Une magie ordinaire. Kossi Efoui s’en va, quitte la terre africaine. Il se raconte, se met en scène, avec une sorte de simplicité joyeuse et innocente malgré l’absurdité des guerres, malgré la douleur. Il écoute sa mère, répète plusieurs fois au fil de son récit les sentences maternelles : « Va vivre. Va vivre ailleurs et ne reviens plus. Je préfère que tu sois vivant loin de moi, même à jamais loin de moi, plutôt que mort ici, dans ce pays, dans mes bras. » Plus belle déclaration d’amour n’existe pas, ou plutôt, combien de mères ont-elles ordonné ainsi aux enfants, filles ou fils, de partir ?
Une magie ordinaire avance par réminiscence, images, paroles, tous ces souvenirs qui émergent alors que la mort rôde et approche de trop près celle qui lui donna la vie. Lui, en France, elle, là-bas, dans un hôpital « où l’on enterre les vivants ». Kossi Efoui, fidèle à sa mère, extirpe le mensonge, va au plus des choses de la vie, cherche la clarté quand tout pourrait s’assombrir. Une magie ordinaire est un livre sur la mère, la terre, la langue, la prison, la guerre, la post-colonisation, les exactions, la tendresse, l’amour, le bonheur. C’est un livre plein et léger comme un sourire. Celui d’un homme heureux, pour qui la poésie est une attitude, un état, une façon de vivre. Pour qui les bracelets, les bagues et les boucles d’oreilles, un peu comme maman, mais beaucoup comme David Bowie dont les yeux maquillés furent une révélation, font partie de son être : « c’est grâce à ces corps chamarrés que j’ai échappé au modèle déposé sous le nom de “vrai garçon” ». Kossi Efoui transgresse les dogmes, les genres, et renouvelle la masculinité dans un bel élan joyeux, et même euphorisant.
La langue maternelle de Kossi Efoui est le ewe, langue bannie à l’école où le français fait loi. Sa mère à chaque retour de classe : « Qu’est-ce que tu apprends dans la langue de l’école ? » C’est ainsi que l’écrivain en herbe découvrit « qu’aucune des deux langues n’était plus que l’autre disposée à la connaissance, qu’aucune des deux langues n’était plus l’autre disposée à la poésie. »
Martine Laval
Une magie ordinaire
Kossi Efoui
Seuil, 158 pages, 17,50 €
Domaine français Pars et ne te retourne pas
mars 2023 | Le Matricule des Anges n°241
| par
Martine Laval
Dans un récit aussi tonique que poignant, Kossi Efoui raconte sa mère, son pays, l’amour de la poésie… et de la vie.
Un livre
Pars et ne te retourne pas
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°241
, mars 2023.