Un livre

A la chaux de nos silences

de Gaëlle Fonlupt

Lamour a ceci de particulier qu’il aspire autant à se dire qu’à se vivre. Gaëlle Fonlupt ne nous démentira pas, qui a donné pour titre, à chacune des cinq parties de son premier recueil de poèmes, un verset du Cantique des Cantiques, l’un des plus beaux livres d’amour de toutes les littératures. Fort de quatre-vingts poèmes, son recueil est une sorte de journal amoureux intensément charnel, spasmodique et constamment innervé par la force toujours changeante et en mouvement du désir. « Ton corps face au mien / puis en dessus / car la terre penche sous ton regard ».
Avec des mots nus qui respectent l’animal en soi, qui donnent voix à la musique des pulsions et cherchent à parler au ventre, Gaëlle Fonlupt ne cache rien de ce qu’il en est de tomber amoureux, de s’augmenter d’inconnu à découvrir – « apprends-moi ce fleuve en toi/ qui fait l’amour aux affluents/ en mémoire d’une source// Je m’y trempe, je le remonte/ je cueille l’amertume de ton œil/ quand ta joie traverse ma bouche ». De ce qu’il en coûte de prendre le risque de l’autre, d’être confronté à son étrangeté ou à sa pluralité, de connaître l’étrange volupté de souffrir, de découvrir l’angoisse. « La nuit est lame/ mon âme fourreau/ ton souvenir en rabot s’agite/ lisse mes parois bleutées ». Un théâtre de la cruauté qui conduit à une forme de sagesse mutilée – « je marche/ évidée, vaste et nue/ mon cœur a la taille d’un poing fermé/ mais je suis devenue/ – sous la brûlure de tes mains – / l’univers tout entier » – consistant à accepter la non-continuité entre le réel et l’univers du désir, à croire en la possibilité d’un désir autre conjuguant l’identité et la différence, la distance et la proximité et échappant à la loi du Un. La poésie deviendrait alors le nom savant de l’amour.

Richard Blin

À la chaux de nos silences
Gaëlle Fonlupt
Éditions de Corlevour, 128 pages, 16 €