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Égarés, oubliés À pas lents vers l’horreur

mars 2023 | Le Matricule des Anges n°241 | par Éric Dussert

Cinéaste, romancière, directrice de théâtre de marionnettes ou peintre, Lorenza Mazzetti connaissait assez la mort pour célébrer en toutes choses les beautés du monde.

Le cœur de Lorenza Mazzetti aura toujours balancé entre le cinéma et la littérature. Mais l’Italie, pourtant berceau de Cinecittà, ne laissait guère aux femmes le premier rôle durant l’immédiat après-guerre. Elle eut sans doute l’opportunité de se tourner vers le roman, ou le récit masqué, mais puisqu’elle était finaude, trouva à émigrer au bon moment à Londres lorsqu’elle eut l’intention de tourner. C’est ainsi qu’en 1956, Lorenza Mazzetti constitua même le recours britannique au festival de Cannes. Sans elle, déclarèrent les Cahiers du cinéma du mois de juin, « L’Angleterre aurait connu un véritable Waterloo sans le très beau moyen-métrage (50 minutes) de Lorenza Mazzetti et Lindsay Anderson Together ». Elle avait alors déjà réalisé deux courts-métrages d’après Kafka et, une fois encore, elle mettait dans son travail l’accent sur la solitude irrémédiable des êtres. En particulier lorsqu’il s’agit de deux jeunes dockers sourds-muets de l’East End de Londres. Remarquable, le film cruel est, dit le critique L. M., « strident, hypertendu, très féminin par sa façon d’idéaliser à outrance une situation donnée. » Si on lui laisse la responsabilité du troisième terme de sa définition, on doit lui donner raison lorsqu’il remarque que Lorenza Mazzetti exprime avant toute chose le « refus de la laideur du monde ». Elle obtient à cette occasion une mention au prix du « film de recherche »… Elle appartenait au Free Cinema (cf. le coffret DVD 1952-1963 récemment édité) qu’elle a côtoyé en poursuivant ses études dans les années 1950 à la Slade School of Fine Art après ses premières études à l’université de Rome. Mais elle revient de si loin, déjà…
Née à Florence, le 26 juillet 1927, elle et sa sœur jumelle perdent leur mère peu de temps après leur naissance. Elles sont alors confiées à une nurse qui les laisse seules, jusqu’au moment où le peintre futuriste Ugo Giannattasio qui s’aperçoit de l’inconscience de cette femme, offre de prendre les petites dans sa famille. Plus tard, c’est dans la famille de son oncle, Robert Einstein, cousin d’Albert, le prix Nobel, qu’elles vont vivre, et c’est là que, pas à pas, l’horreur va surgir. Un sort terrible attend ces êtres. Tandis que Robert est avec les partisans, sa femme et ses deux filles sont assassinées par un commando SS en août 1944. Incapable de supporter le drame l’oncle se supprimera un an plus tard, le 13 juillet 1945. Profondément touchée, Lorenza va évoquer en 1961 cet épisode tragique dans son premier livre, Le Ciel s’est écroulé (Il Cielo cade, traduit par Ornella Volta, Julliard), un roman-récit que l’on s’accorde à trouver « excellent, original et particulièrement émouvant » (il partage avec L’Ennui de Moravia le prix Viareggio, sorte de Goncourt transalpin, un exploit pour une débutante). Elle y raconte les jeunes années de son alter ego la petite Penny. Avec l’oncle, la tante Karchen, les cousines, Marie et Annie, au cœur des années fascistes : « La plume grince sur le cahier de rédaction. Sujet : Nous aimons Mussolini autant que notre père. Rédaction : J’aime Benito Mussolini plus que mon père parce que mon père n’est plus là. Moi, je suis toujours avec mon oncle, c’est pourquoi j’aime Mussolini autant que mon oncle. » Le livre sera adapté pour le cinéma par Andrea et Antonio Frazzi, avec Isabella Rossellini, en 2000.
On comprend aisément que le titre de son livre suivant soit Con Rabbia (1963), avec la rage. Il va paraître en France sous le titre de La Rage (traduction Françoise Thuillier, R. Julliard, 1965). Pour l’anecdote, on peut préciser que le livre sera équipé d’une couverture assez remarquable conçue par un jeune graphiste nommé Jean-Paul Goude… Entretemps, Lorenza était rentré en Italie : en 1959, dès son retour à Rome, elle avait entrepris de travailler pour le scénariste et écrivain Cesare Zavattini (1902-1989), l’une des figures majeures du néoréalisme italien, puis, en tant que réalisatrice avait tourné quelques films et, finalement, dirigé un théâtre de marionnettes à Rome. Elle se lance aussi dans la peinture et écrit pour finir un passionnant Journal de Londres (Diario Londinese, jamais traduit en français) où elle évoque son aventure avec le Free Cinema, novateur et contestataire qui lui aura offert son expérience la plus aboutie dans le domaine cinématographique, ce fameux Together, qui faisait s’exclamer le journal Libération le 5 mai 1956 : « Lorenza Mazzetti réussi un reportage sensationnel sur les gens de cette partie la plus pauvre de Londres : mendiants, infirmes, revendeurs, bateleurs, prostituées, clients des pubs, enfants pauvres, travailleurs des docks et mariniers. Elle a rendu, de façon obsédante, la solitude murée des deux sourds-muets et le fracas confus des bruits et des musiques dans leurs pauvres têtes, succédant à de grandes zones de silence et d’incompréhension. Cet essai pathétique, dont la première version fut tournée en 16 mm, est souvent très beau. » Cette nouvelle Dickens avait assurément la fibre narrative. Elle s’est éteinte le 4 janvier 2020 à Rome, et il ne serait pas étonnant que des rééditions soient d’ores et déjà en préparation. Ses livres le méritent à coup sûr.

Éric Dussert

À pas lents vers l’horreur Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°241 , mars 2023.
LMDA PDF n°241
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