Voici que de nouveau, en Europe, la guerre s’est installée : de nombreuses villes ukrainiennes sont lentement mais sûrement détruites par les bombardements russes et leurs habitants, quand ils survivent, en proie à la faim et de la terreur. Il est donc tentant – et désespérant – de penser à ces assiégés en lisant ces pages rescapées d’un autre long martyre, le siège de Leningrad. Le sous-titre accroît encore la tension d’une telle lecture en ces jours : c’est qu’il s’agit là du « journal d’un adolescent » puisque lorsqu’il en écrit la première page Iouri Riabinkine n’a que 15 ans. C’est le 22 juin 1941, jour du déclenchement de l’opération Barbarossa, l’invasion de l’URSS par l’armée hitlérienne : « Quelle nouvelle ! Je ne pouvais pas imaginer une chose pareille. L’Allemagne ! L’Allemagne est en guerre contre nous ! » Une préface nous rappelle le choc que fut en effet cet événement (Staline lui-même demeura abattu et silencieux durant de longs jours) puis la rapidité de l’avancée allemande et les conditions terribles de ce siège qui dura 872 jours – l’historien Alexander Werth, qui en fut témoin, en fit le récit dans son effroyable Leningrad, 1943. Cette centaine de pages est donc le récit d’une chute inéluctable, d’une continuelle progression vers l’affaiblissement physique et moral, le désespoir qui gagne, la mort qui accumule ses victimes. Les notes de Iouri sont souvent lapidaires, crues : « La famine arrive. Lentement mais sûrement ». La faim devient en effet le tourment le plus quotidien et le plus féroce : « Si je mange (…) je serai de nouveau un être humain, et non plus seulement son simulacre ». Mais il avoue qu’il lui arrive de voler la nourriture qu’il devrait partager avec sa mère et sa sœur : ce « relâchement moral » est alors pour lui une nouvelle torture. Il envisage le pire : « Chaque jour vécu ici me rapproche du suicide ». Ses derniers mots sont datés du 6 janvier 1942 : « Oh, mon Dieu, qu’est-ce qui m’arrive ? Et maintenant je, je, je… » Il meurt sans doute dans les semaines qui suivent.
Thierry Cecille
Le Siège de Leningrad
Iouri Riabinkine
Traduit du russe par Marina Bobrova
Éditions des Syrtes, 164 pages, 16 €
Domaine étranger Mourir debout
octobre 2022 | Le Matricule des Anges n°237
| par
Thierry Cecille
Un livre
Mourir debout
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°237
, octobre 2022.