La rédaction Thierry Cecille

Articles
Le métier de vivre
Peut-on être à la fois un conteur poète et un prophète modeste ? Erri De Luca nous en fait la démonstration en plus de mille pages.
Mon fils, il s’agit purement et simplement de mots, mis à la file comme les fourmis. Leur tanière est le vocabulaire. Ils peuvent transporter une charge supérieure à leur poids. / Tel est le prodige qui touche ceux qui lisent les livres des littératures. Ils voient que les mots peuvent tout décrire. (…) Les mots, mon fils, n’inventent pas la réalité, qui existe de toute façon. Ils donnent à la réalité la lucidité soudaine qui lui retire son opacité naturelle et ainsi la révèle. » Ainsi parle Erri De Luca dans un mystérieux et émouvant dialogue (Le Tour de l’oie, 2018) avec le fils qu’il...
La haine et le désespoir
Chronique d’une tragédie imprévisible : à Berlin, en 1933, Lion Feuchtwanger confronte une famille juive à l’irrésistible ascension des nazis.
En 1925, Lion Feuchtwanger, Allemand issu d’une famille de la bourgeoisie juive assimilée, connaît un succès mondial avec son roman Le Juif Süss. Il y conte la vie d’un « juif de cour », Joseph Süss Oppenheimer, qui, en plein XVIIIe siècle, parvient à être le conseiller tout-puissant du duc de Wurtemberg puis s’attire progressivement la haine du peuple et devient le bouc émissaire d’un...
Interdit d’aimer
Avec microscope et scalpel, Alice Ferney diagnostique un des maux de notre temps : le soupçon généralisé.
Elle est une femme « fragile et vaillante » à la fois, qui doute mais sait se décider, l’énergie qu’elle s’impose lui tient lieu de beauté, de charme : Claire Bodin enseigne, vacataire mais passionnée, une matière quelque peu floue (secrétariat et administration) mais s’efforce surtout de donner à ses élèves – au « cerveau captif, cerclé par une écorce qui l’étouffe, le ralentit, le condamne...
Une risible fin du monde
En une pérégrination alerte et savamment menée à travers les livres et les lieux, Dubravka Ugrešić tente de dire ce que peut encore, en ces jours, la littérature.
Dès l’abord le doute s’installe : si par un grand nombre d’éléments (l’origine croate, l’exil, l’installation à Amsterdam, la renommée relative, l’âge…), la narratrice ressemble fortement à l’auteure, il y a, çà et là, des détails qui clochent, comme un bougé sur une photographie, des décalages, des pas de côté. Puis, lorsqu’apparaît la figure, qui donne son titre à l’œuvre, de la renarde,...
Vivre, écrire, encore
Il serait grand temps, quarante après sa mort, d’entendre enfin Aragon, de souffler sur les braises pour raviver le feu perpétuel qu’il ne cessa d’être.
Le monde un perpétuel jugement dernier » écrit ici le poète qui se retourne sur son passé – et « Ce siècle aura visage de plusieurs Et nous / Les témoins les comparses nous serons jugés / Coupables De silence On nous dira Tes mains / Montre tes mains d’oubli ». Nul doute qu’Aragon aura fait l’expérience, très tôt et durant toute son existence, du jugement d’autrui, des proches comme de la...