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Domaine étranger Le chant des maudits

octobre 2019 | Le Matricule des Anges n°207 | par Catherine Simon

Mêlant liens du sang, mythes et légendes, Jennifer Nansubuga Makumbi compose une ode puissante à son pays, l’Ouganda.

Ma malédiction est un indémodable filon. Encore faut-il savoir y faire. Jennifer Nansubuga Makumbi a-t-elle lu Les Pêcheurs (L’Olivier, 2016), le beau roman de Chigozie Obioma, qui plante sa tragédie, comme on dresse sa tente pour la nuit, au bord du fleuve Omi-Ala ? En exergue de son livre, Obioma cite le poète sud-africain Mazisi Kunene : « Les enfants qui ont foulé les tombes de nos Ancêtres seront frappés de folie. Il leur poussera les crocs du lézard, ils s’entre-dévoreront sous nos yeux et, par décret ancien, il est défendu de les retenir ! » En tout cas, Makumbi a lu Shakespeare, grâce à son père, qui a compris qu’il fallait à sa fille « des histoires dans des livres ». C’est à lui, à sa mémoire, comme à celles de son grand-père et de sa tante, que l’auteure de Kintu dédie son livre. Car la malédiction, justement, est affaire de famille.
Kintu est le nom d’une lignée, cinq fois maudite : tout commence en 1750, dans le royaume du Buganda (que le colonialisme britannique transformera en Ouganda), quand le gouverneur d’une lointaine province, Kintu Kidda, tue accidentellement son fils adoptif, un jeune Tutsi. Apprenant la nouvelle, le père biologique de la victime promet au gouverneur que « la vie sera une souffrance » pour son foyer et « ceux qui en naîtront ». Les malheurs s’abattent sur Kintu Kidda et le rendent fou, jusqu’au jour où il disparaît – condamné à errer et à mourir sans « tombe ni rites funéraires ».
Deux siècles et demi plus tard, ses descendants se voient frappés, les uns après les autres : le mauvais sort se transmet de génération en génération, d’un corps à l’autre, d’un rêve à l’autre. Ainsi, Suubi Nnakintu, jeune orpheline misérable, que poursuit le fantôme de sa sœur jumelle. La nuit, dans le garage où dort Suubi, les rats viennent lui ronger les pieds, enlevant la corne des talons. Mais ce ne sont pas seulement ses pieds qui sont mangés. Sa mémoire est « un disque rayé », qui « saute sans arrêt ». Il y a aussi Kanani Kintu, qui appartient, comme sa femme Faisi, aux « réveillés », une secte d’allumés de l’Église anglicane. Leurs enfants, les jumeaux Ruth et Job, ont une relation tellement fusionnelle que, la nuit, ils continuent « à sucer le pouce de l’autre (…) ainsi qu’ils l’avaient fait dans le ventre de leur mère ». Quand Ruth, à 14 ans, se retrouve enceinte, la légende familiale assure qu’elle a été violée par un jeune porteur d’eau rwandais. Inoubliable pareillement, le personnage d’Isaac Newton Kintu, ainsi prénommé par sa mère, dont le dernier cours à l’école concernait la loi de la gravité. À 8 ans, on le surprend en train de « parler à quelqu’un d’invisible » : était-ce à l’énorme serpent, avec qui sa grand-mère le découvre, un matin, en train de jouer et de rire ? Surdoué intellectuellement, mais d’une extraordinaire laideur physique, Isaac est, à son tour, comme tous les Kintu, rattrapé par le sort : à la fin des années 1980, l’Ouganda est touchée par l’épidémie du sida ; Isaac se torture à l’idée d’avoir transmis le virus à son épouse et à son fils. Dernière figure, qui clôt ce roman-fleuve : Misii, l’intellectuel, patriarche d’une tribu perdue, déchiré entre ses appartenances, lui qui connaît par cœur En attendant Godot et qu’habitent des rêves se rapportant aux esprits, à l’enfance, à l’histoire du clan.
À chaque héros, un chapitre ; le dernier, le sixième, bat le rappel de tous les personnages, en un happy end incertain. Foisonnant, épique, captivant, Kintu traverse l’histoire politique de l’Ouganda en un galop éblouissant. On croise à plusieurs reprises l’effrayante silhouette d’Idi Amin Dada et l’ombre, lugubre, de l’actuel président Museveni. On reconnaît les chauves-souris de la Bat Valley et l’université de Makerere, qui fut le phare intellectuel de l’Afrique des années 1960. On assiste à une scène, banale, de mob justice (lynchage de rue) et on entend, à la fin des années 1980, le bruit des roquettes qui « feulaient comme un chat géant à qui on aurait marché sur la queue »… Bref, on sait qu’on tient là un rare et grand roman.
Née à Kampala, Jennifer Nansubuga Makumbi a étudié et enseigné la littérature anglaise en Ouganda, avant de poursuivre ses études en Grande-Bretagne où elle vit désormais. Kintu est son premier roman. Mais elle aurait pu être architecte ou musicienne, tant elle a construit son affaire avec maîtrise et subtilité : chaque récit est à la fois distinct et lié aux autres, tous s’enchaînent comme les partitions d’un seul chant, tous convergent et se mêlent comme les ruisseaux réunis en un seul fleuve. Ce qui coule sous nos yeux, c’est l’histoire d’une famille et celle, en arrière-plan, de l’Ouganda.

Catherine Simon

Kintu, de Jennifer Nansubuga Makumbi
Traduit de l’anglais (Ouganda) par Céline Schwaller, Métailié, 480 pages, 22

Le chant des maudits Par Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°207 , octobre 2019.
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