En octobre 1989, dans l’un des carnets où il consigne impressions, choses vues, lues ou rêvées comme autant de graines légères susceptibles d’ensemencer le chemin de l’expérience poétique – carnets publiés sous le titre générique de La Semaison – Philippe Jaccottet note : « Plutôt que d’aller contempler le soleil couchant, il vaut mieux l’apercevoir entre les branches, rouge comme il l’est surtout en hiver. Dans le commencement du froid, le vent violent, les mains pleines d’éraflures. » Cette limpidité de voix, cette manière de tenir en une seule réalité le proche et le lointain, de s’accorder, activement, à cette heure crépusculaire où les choses glissent les unes dans les autres, d’accueillir un peu de l’infini entrant dans le fini est emblématique de l’attitude de Jaccottet. Poète qui jamais ne s’absente de sa parole, pour qui vie et poésie sont une seule et même chose, il est aujourd’hui le troisième poète français à entrer de son vivant, à 89 ans, dans la collection de la Pléiade – après Saint-John Perse et René Char – et le premier à autoriser la consultation de ses manuscrits et à accepter qu’ils soient cités. Le volume réunit l’ensemble des « œuvres de création », c’est-à-dire qu’il ne comporte ni les monographies sur Rilke et G. Roud – qui en affirmant que quiconque n’avait pas entendu chanter, « après une nuit de marche, l’alouette annonçant le réveil du monde plus pur que son chant ne comprendrait probablement jamais ce qu’était la poésie », avait sans doute décidé de sa vocation poétique –, ni les recueils d’articles critiques (L’Entretien des Muses, Une transaction secrète…), ni les traductions (Homère, Gongora, Hölderlin, Musil, Ungaretti, Montale, Mandelstam…).
Né en Suisse, à Moudon, en 1925, Philippe Jaccottet fit des études de Lettres avant de commencer à gagner sa vie comme traducteur puis de venir vivre à Paris jusqu’en 1953, année où il s’installa à Grignan, dans la Drôme, à l’ombre du château de Mme de Sévigné, dans une maison d’où il peut apercevoir au loin le mont Ventoux. Après s’être détaché des formes poétiques fixes et de l’arrogance d’une certaine poésie au profit d’un ton plus familier, d’une écriture où l’inflexion de la prose dans le vers se fait plus perceptible, il va progressivement ajuster sa voix. Après L’Effraie et autres poésies (1953), dépassant l’effroi des années de guerre et d’après-guerre tout en se démarquant du caractère mortifère d’une civilisation coupée de ses racines élémentaires, il va prendre conscience de ce qui l’anime et le détermine tout autant que de sa fragilité et de sa vulnérabilité. C’est ainsi que va naître La Promenade sous les arbres (1957), un livre exemplaire par la modernité de sa forme, et l’approche qu’il propose de l’expérience poétique. Un livre dont Peter Handke dira qu’il est « le plus lumineux et le plus perméable de tous les arts poétiques du XXe siècle » et où s’inaugure ce qui deviendra la forme privilégiée de son écriture : la note, qu’elle se...
Événement & Grand Fonds Une poétique de l’éclat
mars 2014 | Le Matricule des Anges n°151
| par
Richard Blin
En maintenant très haut l’artisanat des mots et en accordant sa vie à la poésie, c’est à rassembler les traits épars du paradis sur terre que Philippe Jaccottet se sera voué. Le voici dans la Pléiade.
Un livre