La littérature américaine dite « White trash » regorge de grands noms et de romans coup de poing qui ne laissent jamais indifférents. Soit donc des univers narratifs qui mettent en scène la pauvreté blanche, assimilée à une sorte de déchet – des hommes et femmes qui survivent, dans les marges des États-Unis, le Sud principalement – depuis Erskine Caldwell, en passant par Harry Crews, Daniel Woodrell et jusqu’à Russell Banks. Décédé en 2004, Larry Brown fait partie de ces auteurs incontournables qui se sont attachés à ces personnages bourrus, au bord de la rupture, tous plus ou moins alcooliques, naviguant dans des Pick-up rafistolés, une glacière pleine de bières à portée de main. Joe Ransom, la cinquantaine, en est un bel exemple. Divorcé, il vit seul, avec son chien, dans une vieille baraque dans le nord du Mississippi. Il a fait un peu de taule, comme tout le monde ou presque, et exploite des journaliers, noirs pour l’essentiel, qu’il récupère pour les emmener sur leur lieu de travail. Il croise le chemin d’un gamin, Gary, qui croit avoir 15 ans mais n’en est pas sûr. Ce dernier appartient à une famille de vagabonds, un père malsain et violent, une mère à moitié dingue, des sœurs qui n’ont connu, comme lui, que la route, la faim, et un horizon définitivement bouché. Le tableau n’est pas reluisant, on n’est pourtant pas dans les années 30 mais bien dans l’Amérique d’aujourd’hui, celle où un blanc qui vit dans la crasse et la misère est considéré comme une « raclure » sociale… Joe le paumé va bizarrement prendre Gary sous son aile, endosser le rôle d’une sorte de père de substitution. Mais, comme dans Père et fils (autre livre de Brown qu’on espère voir reparaître bientôt), cette paternité n’est pas réfléchie, elle se crée, existe avec force et, dans le même temps, avec une forme de lassitude, de sincérité et de dureté mêlées, inhérentes à la cruauté du monde dans lequel ces hommes évoluent. Secouant le lecteur, le touchant quand il faut, lisez, relisez Larry Brown, du pur joyaux de roman noir.
Lionel Destremau
Joe
Larry Brown
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Lili Sztajn
Gallmeister, « Totem », 336 pages, 10 €
Poches Joe
mars 2014 | Le Matricule des Anges n°151
| par
Lionel Destremau
Un livre
Par
Lionel Destremau
Le Matricule des Anges n°151
, mars 2014.