Les Bohèmes 1840-1870 - Ecrivains journalistes artistes
Bien connu des lecteurs du cahier « Livres » de Libération, auquel il a donné depuis 1984 de nombreux articles sur les auteurs latino-américains, mais aussi sur Perec, Roubaud, Puech ou Volodine, Jean-Didier Wagneur s’est fait une spécialité de la relecture du XIXe siècle. Co-fondateur de la revue Histoires littéraires (2000), puis du Magasin du XIXe siècle (2012), il s’est aperçu que de grandes lignes de faille restaient à explorer…
Sur les traces de Daniel Oster (1938-1999), qui, le premier, s’attaqua sérieusement au sujet de la bohème en France, Jean-Didier Wagneur a repris le flambeau et, s’adjoignant la force de travail de Françoise Cestor, a conçu un travail « total », si l’on peut dire, remontant aux sources de ce Nil du tourisme parisien : la bohème, ses hauts-lieux, ses beautés, ses destins flétris…
Dans un premier temps, c’est à la résurgence fin-de-siècle du phénomène qu’il s’est consacré, donnant une édition passionnante des mémoires d’Emile Goudeau (Dix ans de bohème, Champ Vallon, 2000), l’inventeur du cabaret littéraire avec Rodolphe Salis, puis, élargissant la focale, il a accueilli dans son martyrologe des personnages exorbitants tels qu’Auguste de Châtillon, parfois hommes de talent comme Louis Lemercier de Neuville, marionnettiste très inventif, ou Henry Murger, leur historiographe à tous qui livra avec La Vie de bohème le texte fondateur de ce moment culturel.
Si on trouve là une occasion de redécouvrir des moments importants de l’histoire littéraire, c’est surtout à la mise à plat d’un mode de vie lié à l’évolution du monde culturel qu’on assiste. Enfant de l’imprimerie conquérante, le bohème fut le fruit d’un monde misérable épris de liberté mais privé d’ors, et le fils d’une presse exubérante capable de construire une mythologie destinée à épater le bourgeois en dévorant ses propres petits. En souvenir des poètes tombés dans leurs galetas en luttant contre le destin dans un combat inégal, quelques éclaircissements…
À quel moment situez-vous l’invention de la Bohème littéraire ?
La plus ancienne attestation de cette expression que nous ayons trouvée pour l’instant remonte à 1842. C’est une série de textes anonymes qui a pour surtitre « La Bohème littéraire » et qui a paru dans Le Charivari ; cette série tourne en ridicule les « bohémiens littéraires » qui gravitent autour de la presse, des théâtres et des éditeurs. Néanmoins le bohémianisme est bien antérieur, il est consubstantiel au mode de vie de l’artiste et de l’écrivain, c’est pour cela que Darnton parle à juste titre de bohème littéraire au XVIIIe siècle. D’ailleurs un grand nombre de textes bohèmes vont chercher par la suite à se construire une généalogie en se réclamant de précédents illustres ou non, du Moyen Âge avec Villon jusqu’à Hégésippe Moreau en passant par Pierre Gringore.
Quel rôle joue alors Murger, qui reste toujours le bohème de l’histoire littéraire ?
Trois ans après les articles du Charivari,...