C’est avec une évidente délectation que Mathieu Bénézet, sans doute un des écrivains contemporains les plus atypiques, s’est emparé de son sujet : les revues. Très apprêtées ou totalement artisanales, maousses ou riquiqui, de critique et/ou de création, les revues « dessinent un paysage littéraire non figé, elles sont le roman des romans », écrit-il en fervent lecteur. Au fil de ses notules, il les raconte, dit leur projet, leur élaboration, éventuellement leur portée. Et le fait avec une bienveillance non dénuée d’esprit critique. S’improvisant tout à tour historien et chroniqueur, Bénézet observe comment les revues se font et, souvent, finissent par se défaire.
Il montre, plus encore que le rôle joué par telle ou telle publication, pourquoi les revues, et même les plus obscures, comptent au regard de ce que l’on peut appeler d’une expression vieillotte, la vie littéraire. À ce propos, il cite opportunément Remy de Gourmont qui, en son temps, soulignait « l’importance des petites revues » pour l’hospitalité et la visibilité qu’elles offrent à la piétaille des écrivaillons comme aux grandes signatures. Il y a donc la description de l’activité des revuistes, « poumon de bien de nos contemporains », et une mise en intelligibilité de cette réalité sinon négligée, en tout cas sous-estimée, que les revues c’est la littérature sur le vif. Qu’on les considère comme des « leviers », des « ogresses », des « machines à rêves » ou des « laboratoires », elles sont matière vive, à la fois vécues au présent et rattachées à une histoire, un temps long. D’une certaine manière, Henri Deluy, qui a mis un terme à soixante ans d’existence d’Action poétique, ne dit pas autre chose : « L’histoire des revues, comme l’histoire littéraire, est sans doute une forme de fiction. »
À cette revue qui aura su durer, le dernier numéro d’Ent’revues consacre une trentaine de pages, recueillant « la mémoire vive – et parfois acerbe – de quelques-uns de ses lecteurs et auteurs » (dont François Hàn, Claude Minière, Paul Louis Rossi). Avant cela, on trouvera un entretien avec Catherine Millet et Jacques Henric qui reviennent, à l’occasion des quarante ans d’Art press, sur l’origine et l’orientation de cette revue qui reste sans doute l’une des plus originales dans son champ. Ailleurs, on lira avec profit une série d’entretiens autour de la publication des revues de sciences humaines unies dans un même goût du « partage du savoir » ainsi que les habituels articles de fond (sur Forge, Continuum, Écarts d’identité) et les chroniques. Et d’abord celle consacrée aux vingt ans de Trafic, la revue de cinéma « voulue, inventée et portée » par feu Serge Daney. Bref, encore et toujours un riche numéro.
Anthony Dufraisse
Le Roman des revues
Mathieu Bénézet
Ent’revues, 112 pages, 12 €
La revue des revues N° 48
143 pages, 15,50 €
Revue Double éloge
novembre 2012 | Le Matricule des Anges n°138
| par
Anthony Dufraisse
Des livres
Double éloge
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°138
, novembre 2012.