Égarer ses héros et ses lecteurs dans un tissage narratif, créer de vertigineuses mises en abîmes, d’incessants retournements de situation semblent l’obsession majeure de Bernardo Carvalho, écrivain-journaliste né en 1960 à Rio. On ne sort pas indemne de ses trois derniers romans aux allures de docu-fictions (cinq à son actif, ainsi qu’un recueil de nouvelles). La lecture redevient une expérience, une plongée dans l’inconnu où l’on perd tout repère, doute de tout, affrontant les Ténèbres, frôlant la folie et la mort. Une sorte de rite initiatique.
Avec Mongolia (Métailié, 2004) le narrateur, de sa chambre, enquêtait sur la disparition d’un diplomate, parti lui-même dans les steppes à la recherche d’un photographe. Il décryptait pour cela le journal de voyage du photographe déjà passé au crible dans les carnets du diplomate. Pour Neuf nuits (Métailié, 2005), Carvalho se mettait lui-même en scène cherchant les raisons du suicide d’un jeune anthropologue, dans des circonstances atroces, au milieu d’une tribu amazonienne dégénérée, soixante ans plus tôt. Pour comprendre, il croisait alors la correspondance du chercheur et ses propres investigations sur le terrain.
Le Soleil se couche à Sao Paulo, titre crépusculaire assez mièvre, nous propose maintenant d’accompagner un apprenti-écrivain à la poursuite d’une mémoire. Fils d’exilés japonais, publiciste défroqué, à la dérive, il se voit missionner par Setsuko, vieille tenancière d’un restaurant asiatique de Sao Paulo, d’écrire sa propre histoire. Du moins celle qu’elle voudra bien raconter en quelques séances - et l’enjoint d’en révéler le terme qu’elle omettra bien évidemment de divulguer avant de disparaître mystérieusement. L’histoire proposera d’incessants allers et retours entre le Brésil et le Japon, d’aujourd’hui et de l’après-Seconde Guerre mondiale. Elle repose sur un nœud de vie, de sexe et de mort mettant en scène trois personnages, le fils d’un puissant industriel, une jeune fille de bonne famille et un acteur de kyogen (théâtre traditionnel). Ce dernier, ambigu, bisexuel attirera la jeune femme qui tombera amoureuse. Au grand soulagement de sa famille, elle se mariera avec le nanti tout en continuant sa relation avec l’acteur qui bientôt sera attiré par le mari. Presque du théâtre de boulevard, jusqu’à la disparition du mari. Mais quel était au juste le rôle de la tenancière Setsuko ? Confidente, secrétaire, entremetteuse du trio infernal comme elle l’a affirmé ? Et quel secret terrible rongeait le mari ?
Carvalho joue avec les identités de chacun, nul n’est censé être ce qu’il prétend. Le mari souffrait d’une perte d’identité due à une machination de ses parents qui, pour lui éviter de combattre, avait envoyé quelqu’un d’autre au front à sa place. Ce quelqu’un d’autre fut impliqué dans un atroce crime de guerre, à moins qu’il n’en ait été que la victime ? L’histoire rebondira alors à la manière d’un polar, dans le Brésil d’aujourd’hui où...
Entretiens Éloge de la perte
septembre 2008 | Le Matricule des Anges n°96
| par
Dominique Aussenac
Dans un roman hommage tout en rebondissements, l’écrivain brésilien Bernardo Carvalho joue avec la narration et le rôle de l’écrivain. Noir et subtil.
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