David Vincent raconte qu’avec son « associé », Nicolas Étienne, ils se sont amusés à recenser les auteurs de leur catalogue, morts fous. Le résultat serait assez dramatique. La palme revient au Hongrois Géza Csáth (1887-1919) : il tue sa femme, se tranche les veines, supplie les gardes-frontières d’ouvrir le feu, avant de s’empoisonner. On passera le cas de Marc Stéphane (1870-1944), qui séjourna 94 jours à Saint-Anne - dont il ramènera un frémissant témoignage. L’anecdote n’est pas fortuite. À L’Arbre vengeur, on apprécie les forts tempéraments. Sous ses couvertures colorées, confiées à des illustrateurs, dominent les excentriques, les obsessionnels, les désopilants, les mauvais esprits, les promeneurs solitaires des bords d’abîmes. Connus ou méconnus, la jeune maison redonne une seconde vie à ces créateurs singuliers - et à leurs textes souvent introuvables. Ils ont pour nom Régis Messac (et son indispensable Quinzinzinzili), Léon Bloy, Theodore Francis Powys, David H. Keller, Jean-Marc Aubert, Jean-Pierre Martinet, Italo Svevo, Loys Masson…
Voilà douze ans que le duo bordelais se connaît, cinq qu’il fait croître L’Arbre vengeur, et continue de se vouvoyer : « Ça évite l’effusion. » David, 41 ans, est libraire, après des études de lettres et une formation aux métiers du livre. Nicolas, 33 ans, est graphiste et musicien - derrière les claviers de Monade, groupe formé par la chanteuse de Stereolab.
L’aventure a démarré avec une série de trois livres (pliés et cousus à la main). « Il fallait s’éprouver. » Au programme : Pierre Loüys, Paul-Jean Toulet, et surtout Jean-Yves Cendrey. « C’est un peu notre parrain. Grâce à lui, la maison a acquis une petite respectabilité. Conférence alimentaire (texte repris dans Les Jouets vivants, ndlr) fut aussi le déclencheur de sa littérature autobiographique ». David Vincent prend alors confiance et la plume pour contacter Marc Petit, Jean-Marc Aubert, Odile Massé. Les voisins des éditions Finitude leur donnent un coup de main. Le catalogue prend forme. « Pour les auteurs, on reste quand même invisible », tempère ce lecteur « névrotique », grand amateur de Bruno Schulz ou de Fontenelle. Cet automne, L’Arbre vengeur (c’est le titre d’une BD) fêtera son quarantième titre. L’occasion d’ouvrir un premier poste salarié ? « Financièrement, c’est compliqué, même si ce n’est pas inenvisageable. Le danger, ça serait ensuite de faire des compromissions. »
David Vincent, sur quelles idées s’est bâti L’Arbre vengeur ?
Il y a déjà ce constat. Je vis dans une sorte de cimetière. La librairie, c’est un endroit où en permanence meurent les livres. Le mouvement s’accélère : la durée de vie d’un titre 10/18 est aujourd’hui de deux ans. Chaque libraire devient un éditeur virtuel. Il voit que ce qu’il a aimé disparaît. Avec Nicolas, lorsque nous travaillions chez Virgin, on a établi une liste. Ça a débuté comme ça. On a ce côté bibliothèque idéale, sauf que nous préférons des choses plutôt...
Éditeur Sève piquante
septembre 2008 | Le Matricule des Anges n°96
| par
Philippe Savary
Amatrices de littératures décentrées et iconoclastes, les jeunes éditions bordelaises de L’Arbre vengeur cultivent joyeusement leur jardin secret, où l’étrange n’empêche pas l’ironie, la cruauté l’humour le plus noir.
Un éditeur