La rédaction Gilles Magniont
Articles
Les rois du tourniquet
Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux suivent le fil du Fleuve Noir et de quelques décennies de collections populaires, entre nouveau monde et fin de banquet.
Aux origines de la pop culture : le titre pourrait, en dehors de l’enfance d’Élisabeth Borne, rendre compte d’à peu près tout. Le sous-titre est plus éclairant – Le Fleuve Noir et les Presses de la cité au cœur du transmédia à la française, 1945-1990 –, qui ramène à l’après-guerre. Les éditeurs compromis par la collaboration s’en sortent assez bien, les hommes et les structures se maintiennent, mais un désir de changement va se manifester dans le roman pas cher, où trône bientôt le Fleuve Noir, créé en 49, puis intégré aux Presses de la Cité en 63. C’est dans ces années que naissent...
La grande conversion
« Qui donc alors était Rancé ? » Jean-Maurice de Montremy écrit une nouvelle vie du terrible abbé, et dépeint avec infiniment de nuances le temps des grandes agonies.
Nous sommes en 1696. Rancé a 70 ans et il refuse de poser. Saint-Simon a conçu un stratagème : introduire le peintre Rigaud à la Trappe, et prétendre qu’il s’agit d’un officier très bègue qui rêve de rencontrer Rancé. Rigaud, des heures durant, le contemple à son aise sans ouvrir la bouche : de là ce portrait, le seul qu’on ait d’Armand-Jean Bouthillier de Rancé, tout en capuche et mauvaise...
Le retour du roi
« Pourquoi ce texte était-il resté dans son tiroir de bureau ? » demande son fils dans une pudique postface : voilà le nouveau John le Carré, merveille d’adresse et d’humanité.
Ce n’est donc pas son « dernier » livre, qu’il aurait achevé juste avant sa mort survenue en 2020, mais un roman écrit il y a environ dix ans, et qui n’avait pas encore passé le stade des épreuves. L’Espion qui aimait les livres, titre conçu pour le marché français, est sans doute vendeur, mais d’une astuce un peu convenue, entre clin d’œil à James Bond ou à l’auteur lui-même. Silverview,...
La Destitution du peuple de Jean-Claude Milner
C’est un essai où les idées communes sont prises à rebrousse-poil. Soit le mouvement dit social des Gilets jaunes, qui s’exercerait en réalité contre les mouvements sociaux, exprimant même La Destitution du peuple. Point de départ : démocratie et république étant fondées sur la coïncidence des pouvoirs et des droits, Jean-Claude Milner voit cette coïncidence abîmée par la politique en temps...
Séparé de rien
Pas la langue en soi, pas la raison nue, pas tout seul : Georges Didi-Huberman éclaire, avec le Témoin jusqu’au bout, ces attaches qui permirent à Victor Klemperer de survivre, par son journal.
C’est le bombardement de Dresde, la nuit du 13 au 14 février 1945, qui, in extremis, sauva Victor Klemperer de la déportation. Philologue et spécialiste des Lumières, il avait depuis 1933 noirci cinq mille feuillets d’un journal clandestin – « je grimpe le long de mon crayon pour sortir de l’enfer », cet enfer personnel qui fut aussi celui de tous les Juifs allemands, avec le travail forcé en...
À la pointe – chronique
Monsieur meuble
Appelé à de hautes responsabilités, Pierre Mondot ne pourra désormais s’acquitter de sa chronique qu’un mois sur deux. Respirons avec lui : il est temps de prendre le large, là où la littérature innove, invente, expérimente – à la pointe.
L’heure est aux bilans de fin d’année, et à ce jeu-là l’emporte haut la main Connemara, élu livre 2022 préféré des lecteurs de Télérama. Son auteur fait encore merveille sur les réseaux : le voilà, dans Elle du 9 décembre, sacré L’ultime Cyrano d’Instagram : « Et si le garçon le plus désirable de 2022 n’était pas un acteur, un chanteur ni un play-boy...
Médiatocs – chronique
Génération écran plat
Mazarine Pingeot, fille de et future mère, met sa vie en forme.Puis vend sa télé.
Je reste enfermée dans la maison. Ma chienne préfère le sommeil, je ne la comprends pas » : trois propositions, quelques mots très simples, Mazarine effleure le mystère du règne animal. Puis, dans la même page, elle évoque le chat, le cheval, ou encore la grenouille. Mais comme cette dernière rappelle Kermitterand, la future mère a ce cri déchirant : « Peut-être vendrons-nous la télé quand tu arriveras. »
Certains diront qu’il est bien des gens qui se débarrassent de leur télé, mais peu qui la vendent (sauf nécessité extrême), et que Mazarine n’est donc pas très généreuse, un peu petite...
Avec la langue – chronique
Un peu plus près des étoiles
Avec vingt ans d’avance, la troupe Gold avait trouvé la formule de l’art contemporain.
La trentaine détendue fait danser ses enfants au rythme des djembés, les chapelles ruissellent de mises en voix, Mathilde Monnier reprend du rosé : voici venue la saison du spectacle vivant. Mais les joies du live recouvrent le verso non moins solaire des festivals : le Programme, prose dédaignée comme la servante qui n’aurait d’autre rôle que de nous mener à sa maîtresse, la représentation. Or c’est dès les rives du rédactionnel que le désir d’art peut être comblé, en témoignent les deux cents grammes d’Avignon 2008, œuvre en soi dès son premier paragraphe. Valérie Dréville « ne veut pas...
Le patois c’est moi
L’époque a trouvé son mot d’ordre : sous les biloutes, la France !.
Puisque cette œuvre ne montre presque rien du Nord/Pas-de-Calais (sinon quelques briques, deux trois toiles cirées, un bout de littoral), puisqu’en masse les spectateurs en reviennent pourtant remplis comme d’une savoureuse démonstration, rendons-nous à l’évidence du Verbe : c’est la part de dialogue qui fait à elle seule toute la valeur anthropologique de Bienvenue chez les Ch’tis, dont...
Cela pourrait choquer
Quelques nuages de censure, au ciel menaçant des bienséances.
Au début du XXIe siècle : La Nouvelle Star, majesté terrible du jury, et que dire de la salle (prononcer à l’araméenne : pavillon Baal-TÂR), quand c’est au tour du dénommé Ycare, éventuellement de sang cimmérien, de faire ses preuves sur Le Chanteur de Daniel Balavoine. Lio et son tribunal diront parfait, il faut le garder, mais ne souffleront mot d’un alexandrin altéré. Balavoine en son...
Courrier du lecteur – chronique
L'homme qui aimait les livres
Coups d’œil sur « Le Dictionnaire Truffaut », où les romans se font devant et derrière la caméra.
« J’espère que vous garderez longtemps cette gravité du regard et cette façon simple et un peu malheureuse de vous exprimer », écrivait joliment Genet au jeune Truffaut. À parcourir le Dictionnaire, on ne s’éloigne jamais longtemps de la chose littéraire. D’abord, parce que les films sont ici le plus souvent des adaptations, au gré des lectures éclectiques de l’autodidacte : David Goodis pour Tirez sur le pianiste, William Irish pour La Mariée était en noir, Henry James pour La Chambre...
Espèce de Hongrois !
« Tout est pur à ceux qui sont purs » (Saint Paul) : promenade guidée au doux pays de l’Injure.
Bougnoule/ Niakoué/ Raton/ Youpin/ Chinetoque/ Putain/ Maquereau/ Macaque/ Chien » pour ceux que n’aurait pas rassasiés cet Hymne à l’amour de Jacques Dutronc, les éditions 10/18 rééditent les travaux de Robert Edouard, publiés une première fois en 1966. Voilà un tombereau qui en impose, avec plus de huit cents pages découpés en deux volumes, le Dictionnaire des injures venant accompagné de...
Quelques déflagrations
Bang ! dévoile et commente toutes sortes d’images. Il y a les images des bandes dessinées, bien sûr, avec notamment l’interview d’Alan Moore, scénariste britannique assez génial qui donne de très politiques contours aux superhéros de papier (on lui doit entre autres les Watchmen et V pour Vendetta) ; mais aussi les images qui cherchent à échapper au livre et recherchent pour ce de nouveaux...