Les ateliers d’écriture trouvent de plus en plus leurs marques, aujourd’hui, dans l’Hexagone. S’il est encore trop tôt pour quantifier le nombre d’écrivains conséquents issus de leur fréquentation, ces ateliers acquièrent une dimension singulière, un retentissement exceptionnel lorsque devenus nouvelle pratique sociale, ils permettent aux exclus d’énoncer une parole ou de se libérer de cette dernière par l’écrit. Certains écrivains, et non des moindres, Jacques Serena, François Bon se déclarent fascinés par l’émergence de ce matériau, cette langue brute qui enrichit leurs propres travaux. Des livres çà et là attirent l’attention. Il en est ainsi de deux ouvrages publiés par les éditions du Champ social dans la collection Connivences dont un des objectifs est de s’ouvrir à tout ce qui peut contribuer au digne accueil de l’autre, l’étranger, l’irréductible étranger, notre semblable, notre frère. Démarche d’autant plus louable qu’elle est formulée dans une région de France dont le Président vient de signifier le respect qu’il avait pour la politique du néo-nazi autrichien Haider, qui lui-même énonça tout son respect pour celle d’Adolf Hitler.
Lettres à mon fils de Sylvaine Lèbe et Ether bleu de Line Llao se singularisent, non parce qu’ils sont l’œuvre d’êtres en mal vie ou en « morte vie » communément appelés malades mentaux, mais par la cohérence, l’hyper-lucidité de leurs propos, la force et la violence des images, leur style d’écriture. Tous deux ont été réalisés dans le cadre d’ateliers organisés à l’hôpital psychiatrique de La Colombière à Montpellier, par l’association Les Murs d’Aurèle, animés par le poète Michaël Glück.
Lettres à mon fils propose un chemin de deuil, « une tombe décente/ un livre », évoque la perte de Raphaël, « 22 jours et 21h 27 mn de vie pour un enfant porté 8 mois et 10 jours » bébé mort asphyxié. Il n’y a pas ici d’au-delà à la douleur, tout est à l’incisivement présent. « Vous avez pleuré pour moi,/ vous ne pleurerez jamais autant que moi. » Brutalité des maux amplifiée par celle de l’expression : formulation vive, très peu d’adjectifs. Éphéméride, acrostiches, excercices de l’atelier d’écriture sont livrés tels quels. Le travail de Line Llao semble plus élaboré, plus mûri, moins brut, mais tout aussi dérangeant. L’auteur évoque ses phobies, son rapport au corps, au sexe, au miroir, à l’identité. « Le café sent la perte blanche, la sécrétion vaginale louche et la métrite. Il laisse dans la bouche un arrière-goût d’alcool à 90°. » De ces deux ouvrages se dégage une parole structurée, conséquente qui énonce, dénonce, crie de douleur, ne simule jamais remettant en question lecteurs, écrivains et certaines conceptions de la littérature et de la folie.
Les ateliers d’écriture aident à libérer une parole, c’est établi ! Guérissent-ils ? L’écriture peut-elle guérir ? C’est une autre histoire…
Lettres à mon fils
Sylvaine Lèbe
et Ether bleu
Line LLao
Les Éditions du Champ Social
rue du Four 30 250 Lecques
100 et 63 pages, 100 et 70 FF
Poésie A l’assaut des murs
mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30
| par
Dominique Aussenac
Un hôpital psychiatrique héberge un atelier d’écriture mené par le poète Michaël Glück.Résultat : une parole libérée émouvante et superbe.
Des livres
A l’assaut des murs
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°30
, mars 2000.