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À la pointe La Surprise du Chef

mai 2025 | Le Matricule des Anges n°263 | par Gilles Magniont

C’est une parution que nul n’avait vu venir : aux éditions Tallandier, Petite histoire de la tête de veau de Pierre Michon. Une histoire pour le moins inattendue, bien qu’on puisse, on y reviendra, distinguer sa généalogie – mais disons d’abord son contenu, dans les grandes lignes. L’auteur, ainsi qu’il s’en explique dans le prologue, propose une odyssée tout à la fois culinaire, culturelle, politique. Comme Jim Harrison qu’il cite ici, il pourrait sans doute clamer : « J’ai une passion pour la tête de veau ». Et il n’est pas le seul, en témoignent dans ces chapitres érudits les voix plus ou moins lointaines de tant d’illustres aînés. Pétrone, Chateaubriand, Cervantès, Verlaine, Bataille, Balzac, Claudel, Marot, Breton, Vallès, Diderot, Leibnitz… tous ont chanté cette tête de veau qui « se rit des frontières », qu’elles fussent littéraires ou sociales. Car le plat a migré de la cour de Versailles vers les petits estaminets ; il est même devenu « canaille » au fil du XIXe, il s’est parfois vendu en boîte, on administra son bouillon aux femmes enceintes, les Anglais aimaient à l’accompagner d’huîtres, et des têtes artificielles (en gélatine) firent quelques malheureuses victimes. Ce monde des sauces gribiche ou ravigote n’existe plus, bien sûr, et notre grande Histoire de la tête de veau n’ignore pas ce que son sujet a d’archaïque  : « Contre le métier de tripier, tout conspire », et pour survivre la tête doit se métamorphoser, ici en carpaccio, là en stickers.
Au terme de ce substantiel ouvrage, on convient sans mal que cette tête « ne laisse personne indifférent ». Et même, qu’elle « n’a pas son pareil pour provoquer les ruptures de style ». Mais cette rupture-là risque quand même d’être un peu dure à avaler : comment articuler ces pages avec le reste de l’Œuvre ? Est-ce un tournant, l’indice d’une réinvention, l’avant-goût de veaux minuscules ? Il est encore trop tôt pour en juger, de savants colloques viendront à l’établir. Contentons-nous en attendant de quelques rapprochements : souvenez-vous par exemple qu’au cœur imaginaire des Onze, il y avait un tableau représentant les membres du Comité de salut public. Or, parmi eux, était le dénommé Jacques-Nicolas Billaud-Varenne… dont on sait désormais qu’il fut l’un de ces révolutionnaires qui, au soir du 21 janvier 1794, auraient partagé une tête de veau pour fêter le premier anniversaire de la décapitation de Louis XVI ! Troublante convergence, il faut en convenir. Descendons plus avant dans le détail des textes. Si, comme l’écrit notre déroutant historien, « la tête de veau prête aux fantasmes », le lecteur attentif aura quant à lui déjà distingué la naissance de ces fantasmes : ainsi quand l’instituteur de La Grande Beune se trouve saisi d’un désir carnassier : « [j’] y [Yvonne] plantais les dents du loup. Je les plantais aussi dans le veau [son fils, Bernard] tétant sous elle » ; ainsi, dans J’écris l’Iliade, lorsque Pasiphaé se voit prise de passion pour le « fier taureau de Crète » dont elle caresse le membre, cette « tringle de fer enveloppée dans un doux cuir de veau ».
Ce cuir de veau, on en a quand même relevé quatre occurrences. Mais on ne va pas compter, et on ne va pas non plus ajouter au dossier quelques remarques lacaniennes – sur l’un des proches témoins de Rimbaud le Fils, Germain Nouveau, ou sur cette avant-garde du Nouveau Roman plusieurs fois évoquée dans Le Roi vient quand il veut. Mieux veau achever cette chronique avec celui qui constitue certainement la clé du mystère, l’épicentre vers quoi tout converge. Autrement dit Flaubert : Flaubert, auquel était consacré tout un texte de Corps du roi  ; Flaubert, qui fait dire à l’un des troisièmes couteaux de son Éducation sentimentale  : « Je crois qu’il faudrait donner une plus large extension à la tête de veau » ; mais Flaubert surtout qui montra qu’un grand écrivain peut se reconnaître à ses grands écarts, lui qui, après avoir dépeint un pluvieux bourg de Normandie, sut s’envoler vers le soleil de Carthage, vers l’éclat des guerres puniques et de Salammvô.

Gilles Magniont

Illustration : Patrick Arcat

La Surprise du Chef Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°263 , mai 2025.