On a reçu, glissée dans le livre à la page 39, une carte d’enchantement de Magic, The Gathering, le jeu emblématique des cultures de l’imaginaire depuis les années 1990. À la même page, on tombe sur une chambre éclairée par « la description d’un mur phosphorescent ». On se rappelle que Gabriel Gauthier aime les signes et les jeux de double depuis Simurgh & Simorgh, Speed et Space, son premier roman paru l’année dernière. On lira La Vallée du Test, en dépit d’une confidence tardive, dans l’ordre de ses poèmes jusqu’au micro-récit cocasse d’un spectacle raté à Londres à cause d’une montre, mais chroniqué quand même. L’ex co-auteur de performances et de spectacles de danse, formé aux Beaux-arts, serait parvenu à dissoudre l’écart entre le monde et sa narration, mais depuis ses derniers textes « nous avons perdu une heure ». Avec une tendresse nouvelle « pour tout ce qui manque » et « pour tout ce qui ne parvient pas encore à se formuler », le jeune poète a choisi de retenir les choses qui demeurent.
« Nous avons perdu une heure » et pendant que nous traversons les poèmes, « quelqu’un remonte le temps », parfois une voiture passe de l’un à l’autre. Gabriel Gauthier a pris congé des énumérations et d’un possible dédoublement du monde pour observer les choses qui bougent et peut-être aussi pour se reposer des grandes quêtes comme des petites épopées : « je change et ne suis pas obligé de le dire ».
Ce nouveau recueil, écrit à l’été 2022, insuffle un peu d’humour et de sensations simples : « Le Big Bang a créé deux types d’énergie : le vent dans le pelage du chien et mes lunettes de soleil qui tombent ». Les poèmes prennent désormais vie « en dehors de tout le monde », rendus autonomes, « après avoir existé comme un truc en toi (…) puis un truc beaucoup plus grand que toi et moi, puis un truc qui sort de toi ». Comme cet énigmatique « poignet sans montre au cadran cassé », le temps est circulaire, les derniers vers recommencent le poème (« Oh il faudrait commencer par les mots qui terminent / nos phrases ». Gauthier fait des exercices de contre-imagination ou imagine des contre-actions : « Je nage, j’imagine que je ne nage pas. (…) il neige, j’imagine qu’il ne neige pas. »
Celui qui confie avoir « le vertige des petites altitudes » éclaircit sa voix, « presque éteinte comme une personne qui ne répond pas parce qu’elle travaille toujours à l’extérieur », en prenant le parti de la douceur. Sans véritable mélancolie, dans un regard renouvelé, le jeune poète se tourne vers les disparitions des autres : « que sont devenues les enfances différentes des miennes ? » Les sentiments et les moments qui n’ont pas été vécus ne sont pas forcément perdus, et de conclure provisoirement : « je suis tel que je suis quand je ne le suis pas encore ».
Un plan et des tunnels se dessinent pour une maison qu’on n’habitera peut-être jamais, mais dont la seule perception suffit.
Flora Moricet
La Vallée du Test, de Gabriel Gauthier
Corti, 152 pages, 19 €
Poésie Passage à l’heure d’été
mai 2025 | Le Matricule des Anges n°263
| par
Flora Moricet
Cultivant son univers ludique, onirique et hypothétique, le nouveau recueil de poésie de Gabriel Gauthier gagne en légèreté.
Un livre
Passage à l’heure d’été
Par
Flora Moricet
Le Matricule des Anges n°263
, mai 2025.

