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Domaine étranger Défaire le temps

février 2024 | Le Matricule des Anges n°250 | par Feya Dervitsiotis

Roman élastique sur l’enfance et l’oubli, Mon sous-marin jaune de Jón Kalman Stefánsson est un accordéon autobiographique qui s’étire depuis nos jours jusqu’aux années 1970 en Islande.

Un jour de l’été 2022, si proche de celui de notre lecture, un narrateur identique à Jón Kalman Stefánsson se retrouve, dans un parc londonien, face à un fantôme de son enfance : Paul McCartney. Et « les vagues du passé » de tomber sur l’écrivain assis et de le ballotter le temps d’un roman entre ce point de départ et les années 1970 en Islande.
Le petit garçon a 7 ans lorsqu’il apprend, au détour d’une phrase, que sa mère est morte. Il vit à Reykjavik avec son père taciturne. Apparaît une belle-mère. Plusieurs étés de suite, il transporte son chagrin sur les hautes landes islandaises et poursuit son deuil à l’ombre des fjords. Là il converse avec les morts et les Beatles, mais aussi avec Jésus : car lui aussi, comprend-il de ses cours de catéchisme, cherchait à fuir son père et trouver sa mère. Une décennie plus tard, il « travaille dans le poisson », écoute de la musique, apprend à conduire, s’enferme dans une bibliothèque où il lit, écrit et crée sa vie à venir – autant de sous-marins jaunes, ces capsules qui le font descendre un cran en dessous du réel.
Mon sous-marin jaune, neuvième livre traduit en France de l’écrivain islandais, est un roman de toutes les origines. Il est traversé par la Bible, réécrite sur un mode parodique selon la compréhension de l’enfant, il y est question de ce qui précède l’écriture, mais aussi de l’écriture comme cosmogonie, l’écrivain étant capable « de changer les mots en systèmes solaires, les phrases en voies lactées ». Les rencontres impossibles que fait le petit garçon dessinent la géographie de ce roman-monde, reliant ce qui n’est plus, ce qui vit, et ce qui n’existe qu’en littérature, tout en proposant un voyage synchronique dans un océan de rêves et de souvenirs.
Car ces différents paliers se présentent sous forme de courts récits enchâssés dans un ordre apparemment aléatoire. Motifs, images, souvenirs, et scènes, répétés comme un mantra contre l’oubli, tournent en orbite autour du roman. Parfois on pense à une chanson dont chaque couplet introduirait un nouvel objet dans une liste qui ne cesse de grandir. Parfois deux souvenirs hétérogènes se croisent, par accident, comme des météores. Ailleurs, un souvenir en chasse un autre, par la métamorphose du premier : « l’océan… devient une lande dans les Strandir, la nuit se change en rayons de soleil joyeux qui folâtrent dans l’herbe, les étoiles en chants d’oiseaux ». Le narrateur se laisse emporter par les aléas de ce déroulement, revendiquant une part d’abandon de toute maîtrise. Le roman serait « imparfait, inabouti comme seule la vie peut l’être ».
Là où l’éclatement du roman semblait total, le démiurge ne cesse pas un instant de tenir les ficelles, nous emportant n’importe où et surtout nulle part. Mon sous-marin jaune, en jonglant avec des nappes temporelles, produit une fausse démonstration pour prouver que « la plupart d’entre nous vivons à la fois à toutes les époques »… tout en affirmant que c’est « n’importe quoi ». Toujours suivant la métaphore de l’attraction d’une planète, Jón Kalman Stefánsson cumule les lectures de son propre livre. Il s’agirait d’exhumer « l’antique Mésopotamie que nous abritons tous au fond de nous » mais aussi plus généralement de s’élever contre l’oubli, « terreau sur lequel prospèrent la cruauté, l’intransigeance et la violence ». Il s’agirait de représenter par l’écriture le mouvement même de la vie, de façon plus aiguë que les souvenirs hachés n’en sont capables (« Le temps s’arrête dans ce parc public, mais pas dans le récit qui poursuit son cours incessant et qui n’obéit à aucune loi en dehors des siennes »)
Enfin, si plusieurs défunts s’entretiennent avec l’enfant, sa mère persiste, elle, à se taire. Comme si, parmi l’abondance fantasmagorique du livre et à travers sa profusion romanesque se faisait jour une seule et longue formule magique, tentative de renverser le réel et faire revivre celle qui n’est plus.

Feya Dervitsiotis

Mon sous-marin jaune
Jón Kalman Stefánsson
Traduit de l’islandais par Éric Boury
Christian Bourgois, 396 pages, 22

Défaire le temps Par Feya Dervitsiotis
Le Matricule des Anges n°250 , février 2024.
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