Quidam a la bonne idée de rééditer en poche Le Salut viendra de la mer (2014, voir Lmda N°182). Un titre, dixit la postface, « tourné vers l’avenir et plein d’espoir », mais que récuse d’emblée l’incipit. « Je vais te dire comment c’est arrivé. Comment c’est arrivé et comment ça devait arriver. Le sang versé et celui qu’on devait verser. » C’est qu’en Grèce, le bleu a viré au noir. « Le pays est en miettes, tout est dévasté, mais nous, là, c’est des coups de poignard tout le temps ». Ce « nous »  ? La communauté polémique (Héraclite n’est pas loin, « Guerre est de tous le nom »), formée dans et par la violence entre d’un côté « ceux d’aut’part », les jeunes urbains chassés du continent par la misère, et de l’autre les « rats », autochtones qui vomissent ces intrus. Même si les uns et les autres partagent la même détestation des touristes qui les photographient comme des bêtes de zoo. Le lieu de cette insociable sociabilité n’en est pas moins un haut lieu : l’île grecque immémoriale et indemne, avec la mer, les barques, une taverne, des chants et des danses. Hospitalière mais avec la fatalité et la mort.
La force narrative de ce roman par nouvelles à la première personne est dans le point de vue des « Athéniens », gens venus de partout qui luttent, en néo-îliens pauvres, pour arracher l’espoir au désespoir. « Le salut viendra de la mer. Un truc à nous, tu comprends, un mot de passe qu’on se dit nous autres, ceux d’aut’part. » Mais que et comment faire quand « le salut est en panne, en réparation » ? Comme le souffle au narrateur la sereine Artemi qui incarne l’éclaircie, « il n’y a aucun secret. La vie veut vivre. Voilà tout. Aucun secret ». Et aussi : « Le début est toujours devant ».
À la très belle fin du livre, la magie de la nuit, fragile promesse, devance le jour nouveau. Les dialogues, servis par l’orfèvre de la traduction du grec et passeur de ses grands noms, font rêver d’un film.

Jérôme Delclos

Le Salut viendra de la mer
Christos Ikonòmou
Traduit du grec et postfacé par Michel Volkovitch
Quidam, 186 pages, 8,50 €