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Domaine français La fabrique de la violence conjugale

juin 2023 | Le Matricule des Anges n°244 | par Flora Moricet

Une relation d’emprise et de violence masculine racontée par un homme en roue libre. Une expérience littéraire puissante et difficile, qui interroge sur les représentations possibles de l’inacceptable.

Baisse ton sourire

Écrit à la première personne, le troisième roman de Christophe Levaux retrace l’histoire d’un embrasement et d’un anéantissement d’une relation amoureuse, peut-on lire sur le rabat en fin d’ouvrage : « une laideur qui s’appelle violence ». L’escalade de cette violence morale et physique est observée et éprouvée depuis le point de vue de l’homme. Récit d’une traite, soutenu par une écriture précise, brute et sans détour, avec un sens du détail et de l’autodérision qui sert redoutablement la puissance d’identification. Épouser le point de vue d’un homme violent, une violence qui sera rarement caractérisée (en dehors d’une scène emblématique du coup de poing de son joueur de foot préféré qui exercera longtemps sur lui une fascination : « je regardais De Bilde – une droite incroyable en effet – et je ne parvenais pas à savoir si nous étions des hommes ou des salauds »), est un geste assez inédit en littérature.
L’auteur belge nous entraîne dans une rencontre d’abord banale et attirante entre le narrateur au « prénom vieille France », vendeur chez Decathlon, complexé par ses origines sociales, et la lumineuse Sophie, toujours une longueur d’avance en matière de goûts et d’intelligence. Une relation amoureuse décortiquée avec un sarcasme mordant, « ses dents étaient parfaitement alignées et je me suis rappelé que les miennes ne l’étaient pas », et portée par une tension qui nous dirige, on le sait, tout droit vers le pire. On baisse son sourire et, happé, on ne lèvera pas les yeux d’une page.
Très vite, le jeune adulte s’imagine la perdre. Son couple lui paraît manquer d’aplomb : « désormais, on parlait moins dans les files de cinéma ». Il ne supporte plus « son regard lointain des jours de fuite », perd prise sur elle et souffre de se sentir chaque jour un peu plus plouc aux côtés de ses amis à elle, bobos et fringants. Il jalouse ses rêves d’ailleurs et de soleil. Des rêves et des pensées desquels il se sent de plus en plus exclu : « tandis qu’elle parlait, à l’intérieur de moi, ça s’était mis à brûler ; la distance qu’elle mettait entre nous, la hauteur qu’elle prenait tout à coup ». Une douleur qui gagne l’empathie… alors que le narrateur perd simultanément les pédales.
Une histoire d’amour peut-elle se confondre, ainsi présentée, avec une histoire d’emprise ? Christophe Levaux décrit indéniablement bien, dans une langue au souffle court, cet affolement qui va basculer insidieusement dans la violence destructrice. Du berceau aux premières amours, les violences se confondent. Adolescent, le narrateur agresse une fille de son lycée en l’embrassant de force. Elle le gifle en retour et le traite, comme d’autres le feront, de « sale pervers ». Avant d’être une menace proférée contre Sophie, « baisse ton sourire » est un souvenir d’enfance, une injonction paternelle face à une mère imperturbable, un silence qui rend fou l’homme de famille. Posséder ou non un sourire, avoir le contrôle sur une rêverie ou sur une absence est bel et bien une affaire de transmission. Comme on imagine l’enfant témoin de ces violences patriarcales, médusé, ce texte laisse suspendus et confondus tous les abus qui s’ensuivent jusqu’à euphémiser une dispute à l’issue de laquelle celui qui déclare avoir « hyper conscience de chacun de (s)es gestes » fait éclater une mappemonde (en couverture) sur le crâne de Sophie : « les jours qui ont suivi la destruction de la mappemonde ». On est pris dans l’œil du cyclone de ces agressions : « comme si je tombais dans le vide en sachant que j’allais m’écraser, mais que plus rien n’importait puisque la chute était amorcée »
Avait-on besoin de la voix supplémentaire d’un auteur de violences conjugales, pour se mettre à sa place ? Certainement. Même si on est nécessairement pris d’embarras une fois le livre refermé, il réussit son pari de témoigner de l’horreur en renversant les représentations habituelles et en évacuant les contours de certains mots, ceux de bourreau et de victime par exemple. Si la littérature ne prend pas en charge nos pulsions les plus mortifères et les plus troublantes, on peut faire demi-tour devant les librairies. Baisse ton sourire dérange aussi parce que s’y déploient nos propres parts d’ombre et angles morts, au sein du couple et plus largement dans nos relations affectives. Dans ce qu’il contracte de projections et de fascination, ce roman – heureusement rare – confronte le lecteur et la lectrice à une mécanique de la violence masculine qui, passé la sidération, implique d’être mise en perspective et partagée avec d’autres.
Et en bout de course, on espère que l’urgence de cette écriture n’est en rien celle d’une confession qui serait, elle, spectaculairement perverse

Flora Moricet

Baisse ton sourire
Christophe Levaux
Éditions Do, 152 pages, 17

La fabrique de la violence conjugale Par Flora Moricet
Le Matricule des Anges n°244 , juin 2023.
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