Sur cette grande place / Vous êtes tous / nus / On vous a tous défroqués/ (…) / Vous êtes désormais réduits à votre matricule / (…) / à même la peau ». Il y a dans ces vers la quintessence de l’ouvrage de Céline Didier : « raconter » l’horreur de l’arrivée de son grand-père Hippolyte dans le camp de concentration de Dachau, la simplicité du récit qui oscille entre le respect d’un pan d’une vie jamais transmis oralement mais dont elle veut être le passeur de mémoire, et l’exigence d’une architecture poétique et stylistique au cordeau. Elle suit sans faillir la trajectoire de ce personnage, résistant de la première heure, blessé et dénoncé par un collègue, et déporté. « (…) te voyant à terre / encore en vie / te dira / (…) “Nous n’avons pourtant pas tiré / pour te manquer / espèce de salopard” ».
Ainsi se resserre en entonnoir l’histoire d’Hippolyte (de « la place » à la nudité, dernier rempart de notre dignité) dont la matière première et inespérée est celle d’un cahier retrouvé. Hippolyte y a consigné, d’une écriture soignée, le récit de la Résistance. Mais l’année passée à Dachau est consignée dans des feuilles de brouillon, signe de l’impossibilité de « mettre au propre », l’horreur. « Tu as gratté/ gratté / sans t’arrêter/ dans un rythme effréné ». Les répétitions fonctionnent comme des scansions, un marteau qui enfonce le clou, un refrain qui arrête la course du temps, celui qui nous mène droit à la vie quotidienne du camp. Mais la simplicité du langage employé, la clarté du verbe, la fluidité du texte, l’amour de l’autrice pour son grand-père, sont des baumes qui nous préparent à la cruauté des SS. En effet, demande Céline Didier, comment « raconter », est-ce racontable ? quelle forme pour ce récit ? celle du cahier rose, celle du brouillon, ou la sienne qui tente à son tour de mettre au jour. « C’était ton vœu » reçoit, reprend, réécrit, dans un projet poétique où l’écriture est un passage de témoin, une matière sans cesse renouvelée. C’était ton vœu est plus qu’un devoir de mémoire, il pointe les dangers qui menacent toujours aujourd’hui à l’horizon.
Virginie Mailles Viard
C’était ton vœu
Céline Didier
Lunatique, 174 pages, 18 €
Domaine français C’était ton vœu, de Céline Didier
juin 2023 | Le Matricule des Anges n°244
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
C’était ton vœu, de Céline Didier
Par
Virginie Mailles Viard
Le Matricule des Anges n°244
, juin 2023.