Elle fait la bravache, tient tête. Non mais pourrait être sa réplique préférée. Elle ne va pas se laisser faire, pas se laisser envahir par la trouille, les peurs, les angoisses, la maladie à l’affût, la mort qui rôde, et quoi encore. Alors, elle se raconte Amandine Dhée, va vite, explose, carambole avec la syntaxe, s’amuse et râle, se donne fragile et attendrissante. Elle manie l’oralité à plaisir, fait de l’équilibre sonore à coups de phrases bien chaloupées – on l’imagine même écrire droit debout tout en gesticulant. Elle s’est fabriqué un tempo, une sorte de gueuloir comme jadis un certain Gustave. Elle se confie en toute franchise comme pour mieux recharger ses accus et reste d’une pudeur extrême. Amandine Dhée, autrice (elle tient fermement au trice) autant que comédienne, joue avec la langue française, invente des conjugaisons audacieuses (« on se vertige », « on se titanique ») et des tournures qui font mouche, provoquent connivence et sourire : « Je sais que mes larmes ne sont pas les bienvenues. Déjà que je suis une femme, n’aggravons pas mon cas ». Au moment de se laisser aller au fond du trou, là où se niche cette ribambelle de peurs, de deuils présents ou à venir, réels ou fantasmés, la jeune Nordiste fait de l’entourloupe, utilise l’humour comme antidote à toutes ses frayeurs. Elle assemble ses mots « sur la pointe des pieds », veut dire la vérité, toute la vérité mais pas n’importe comment, pas à n’importe quel prix (celui des banalités). Elle aimerait tant « réussir à prendre de la distance, accepter, (s)’injecter de la philosophie en intraveineuse. » Parfois, ça marche, ouf, parfois non, le tsunami de l’effroi est plus fort : c’est quoi cette société qui n’a même pas su inventer de mot pour désigner les parents qui perdent un enfant ?
Il n’y a pas de hasard, que des coïncidences. À une rencontre en librairie, Amandine l’autrice-narratrice aux questions toniques se lie avec Gabriele, ex-grande voyageuse, et lui laisse la parole en de courts chapitres. La jeune femme exerce désormais un métier presque impensable : thanatopractrice, celle qui prend soin de morts. Elle raconte que certaines personnes sont effrayées : « comment peux-tu faire un travail pareil ? » Sous-entendu : « c’est quoi ton problème ? » Quand Gabriele travaillait dans la com, personne ne mettait en doute son choix de carrière… Avec une infinie délicatesse, Gabriele leur lave les cheveux, leur redonne bonne mine, s’emploie à les rendre aux familles mieux que présentables – apaisés. Faire ce métier, ce n’est pas mettre la mort à distance, c’est peut-être simplement faire avec, l’apprivoiser, un peu. Et surtout, offrir un dernier geste de respect à des êtres dont l’existence s’est arrêtée. Gabriele rassure Amandine : on ne s’habitue pas à la mort.
Martine Laval
Sortir au jour
Amandine Dhée
La Contre allée, 128 pages, 17,50 €
Domaine français Vitamines du bonheur
janvier 2023 | Le Matricule des Anges n°239
| par
Martine Laval
Amandine Dhée, plus tonique que jamais, poursuit son introspection de femme, de mère. ses inquiétudes deviennent les nôtres. À la vie, à la mort !
Un livre
Vitamines du bonheur
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°239
, janvier 2023.