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Domaine étranger Cauchemar et féerie

juillet 2017 | Le Matricule des Anges n°185 | par Thierry Cecille

Ici réunis, les deux premiers romans de Danilo KiŠ offrent l’occasion de redécouvrir d’un œil neuf cet écrivain essentiel – trop méconnu.

Psaume 44 (suivi de) Mansarde

C’est un curieux objet que le lecteur tient dans ses mains – et une expérience de lecture non moins curieuse, pour ne pas dire déroutante, qui l’attend. Les deux romans qui composent ce diptyque ont en commun d’être les premiers écrits par Danilo Kiš (il avait alors 27 ans) et d’avoir été publiés, ainsi rassemblés, en 1962. Mais, comme on le sait, chaque livre a son propre destin : si La Mansarde avait été traduit par Pascale Delpech dès 1989 (l’écrivain serbe fut, en ces déjà lointaines années 80, reconnu – puis quelque peu oublié…), Psaume 44 – pourtant plus important sans doute – demeura inédit jusqu’à cette récente publication.
La riche préface de Jean-Pierre Morel rappelle ces éléments et, de manière plus significative encore, ce que ces deux premiers textes annoncent de l’œuvre qui suivra : la trilogie de son « cycle autobio- graphique » réunie en France sous le titre d’ensemble Le cirque de famille, comme ses essais de ce qu’il appela « littérature documentaire », par exemple sa passionnante (mais dépassionnée, objective) Encyclopédie des morts. La manière qui lui sera propre – et qui fait l’importance de son œuvre – d’aborder les deux totalitarismes dont il fit – différemment – l’expérience, la vision qu’il élabora de la Shoah aussi bien que du système soviétique, trouve ici, sans doute, des prémices, ou offre, au moins, des indices.
La Mansarde, sous-titrée « poème satirique » est une sorte de récit d’apprentissage abracadabrantesque, quelque part entre le Boris Vian de L’Écume des jours – pour le merveilleux décalé – et certains récits de Bohumil Hrabal – pour l’ambiance et l’ironie. Un nouvel Orphée, apprenti poète et joueur de luth, tente de vivre un amour contrarié avec une nouvelle Eurydice, dans une mansarde qu’il partage avec un complice surnommé « Bouc le sage ». Il contemple les paysages que dessine l’humidité sur les murs de la mansarde, dresse la liste des « questions existentielles » qui le taraudent et entreprend un voyage d’exploration ethnologique chez les indigènes de la « baie des Dauphins ». On éprouve au début de la curiosité, on se réjouit de certaines trouvailles – mais à la longue le grotesque pèse, le ton semble forcé, comme un sourire qui deviendrait grimace.
« Il se chuchotait depuis quelques jours déjà qu’elles tenteraient de s’évader avant l’évacuation du camp, d’autant que, cinq ou six nuits plus tôt, on avait entendu pour la première fois le grondement des canons dans le lointain. » Dès l’abord, l’incipit du Psaume 44 nous introduit ainsi, avec une réelle efficacité, auprès de Maria : allongée sur un châlit, dans un block de Birkenau, elle emmaillote son enfant nouveau-né dans des langes de fortune et s’apprête à s’enfuir avec Zhana, une camarade. À ses côtés gît Polia, morte de faim ou d’épuisement, on ne sait, qui « jouait depuis longtemps du violoncelle dans l’Orchestre Noir, à l’entrée de la chambre à gaz ». Pendant ces heures qui précède l’évasion, Maria oscille entre souvenirs et espoirs, visions lancinantes du passé terrifiant et anticipation d’un futur plus qu’incertain. Sans doute fallait-il à Kiš quelque courage pour écrire un tel récit dans la Yougoslavie des années 60 : nous savons que les régimes communistes étaient loin de mettre au premier plan de leurs préoccupations l’extermination des Juifs. La construction narrative et chronologique, ainsi que certains procédés (l’utilisation, par exemple, des parenthèses, à l’intérieur de monologues intérieurs, pour rectifier et préciser les formulations…), sont tout à fait faulknériens et parfois inutilement complexes. À ces défauts de jeunesse s’ajoutent quelques épisodes peu vraisemblables, telle cette scène pendant laquelle Maria écoute, cachée dans une armoire, un long dialogue entre Max, le père de son enfant, médecin du camp, et son supérieur, le « docteur Nietzsche » – Mengele bien sûr. Cependant l’ensemble du récit demeure convaincant et on ne peut qu’admirer la maîtrise avec laquelle Danilo Kiš parvient à rendre les tourments de la conscience bouleversée de Maria, tentant d’échapper à la mort programmée.

Thierry Cecille

Psaume 44 (suivi de) La Mansarde,
de Danilo Kiš
Traduit du serbo-croate par Pascale
Delpech, Fayard, 320 pages, 19

Cauchemar et féerie Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°185 , juillet 2017.
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