Une chance minuscule commence comme un songe. Silencieux. Irréel et pourtant juste là, à portée de main. La barrière d’un passage à niveau. Le signal d’alarme – strident, mais pourtant, on n’a cette impression de ne rien entendre. Un train qui n’arrive pas. Une première voiture qui s’engage et traverse. La deuxième à sa suite. Un paragraphe, quelques lignes, et puis rupture, nette. Et la voix de Mary Lohan qui démarre un récit, sans lien apparent avec cette parenthèse ferroviaire.
Une chance minuscule est un récit de hasard et de malchance, contrebalancés par cette étincelle : la chance minuscule. Celle-ci peut suffire. À condition de ne pas la rater. Une chance minuscule est tout à la fois une histoire de famille, un retour sur les ombres du passé, un roman à suspense – on a bien compris que le drame avait à voir avec un train, et un passage à niveau, mais il faut un certain temps pour comprendre ce qui s’est véritablement produit. Parce qu’il n’y a rien d’exceptionnel, ou de sensationnel dans le drame de jeunesse de Mary Lohan, autrefois Marile Lauria. Juste le hasard, un faisceau de circonstances, qui ont assis la normalité de façade d’un couple désuni, et qui laissent l’existence d’une jeune femme très seule voler en éclats. « Je n’avais pas de rêves personnels. Alors je m’étais approprié les rêves des autres. En fin de compte, ce rêve n’était pas si mal, qu’y avait-il de plus à attendre de la vie ? »
Claudia Pineiro a cette écriture à la fois fragmentaire – récit entrecoupé, haché, lien aux ressentis, à l’urgence, à l’émotionnel – et linéaire : elle déroule son histoire, sur le mode de l’enquête (revenir aux sources du drame) et de la confession. Car c’est de cela qu’il s’agit. Marile a fui l’Argentine. Dans l’avion pour Boston elle a rencontré Robert. Il l’a aidée. Presque épousée. Elle a reconstruit son existence, sous le nom de Mary Lohan, sous des traits subtilement modifiés. Et puis Robert est mort. Et elle est là, Marile Mary, à revenir en Argentine, à revenir vers ce collège dont elle a fui les parents, les enfants.
Le travail sur la mémoire, ses attaches, ses absences, sur la culpabilité, l’inquiétude, est particulièrement subtil. On peut discuter ensuite des probabilités, improbabilités : mais on parle d’une chance minuscule. Il faut bien que le facteur chance intervienne. Claudia Pineiro raconte l’histoire d’une femme détruite, reconstruite sur un vide, un manque, une absence, et qui a cette chance, minuscule et immense, de pouvoir presque effacer le temps. Le texte est beau par sa pudeur, ses hésitations. On en lit une grande partie au travers des courriers, lettres manuscrites, e-mails. Le reste passe également par l’écrit, c’est le journal de Mary. Ainsi s’opère la mise à distance, et ce mode confessionnel. Sans pathos, sans surcharge lacrymale. Marile Mary raconte. Elle répond à une question. « Pourquoi, alors que nous avions enduré toutes ces choses ensemble, ma mère est partie un jour et n’est jamais revenue. » Elle explique l’inexplicable. « Il y a des actions qui ne sont pas dignes qu’on leur trouve des raisons. Il y a des actes qu’aucune raison ne peut justifier. Des faits injustifiables. Voilà pourquoi je suis restée silencieuse pendant toutes ces années. »
Une chance minuscule, c’est l’espoir de Mary Lohan. Ces hasards qui n’en sont pas tout à fait. La main du destin, subtilement orientée. Les conditions réunies, pour que le miracle puisse avoir lieu. Il y a un peu tout ça, dans ce roman de l’Argentine, mais sans effets de manche, sans superflu. Une histoire discrète pour une femme secrète, un texte tout en retenue, avec ses moments d’une infinie délicatesse. Une chauve-souris. Un grain de beauté. Le récit d’un retour à la vie. Un texte juste pour un portrait tout en nuances.
Julie Coutu
Une chance minuscule, de Claudia Pineiro
Traduit de l’espagnol (Argentine) par
Romain Magras, Actes Sud, 272 p., 22 €
Domaine étranger Qui perd gagne
juillet 2017 | Le Matricule des Anges n°185
| par
Julie Coutu
Roman sur la mémoire et la culpabilité, Une chance minuscule de l’argentine Claudia Pineiro tisse le délicat récit d’un retour à la vie.
Un livre
Qui perd gagne
Par
Julie Coutu
Le Matricule des Anges n°185
, juillet 2017.