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Quartier libre Projet pour une révolution

juillet 2017 | Le Matricule des Anges n°185 | par Xavier Person

Au-dessus de 35°C le désir de littérature s’épuise. Les récentes canicules, dont les météorologues nous annoncent le retour de plus en plus fréquent, et intense, ces monstrueuses montées de chaleur ne finiront-elles pas par modifier les conditions d’existence de la littérature, et jusqu’à ses enjeux ? Comment continuer à penser, à imaginer sous les crocs d’une chaleur mordante ? Comment lire ou écrire des livres, passé un certain stade de liquéfaction ? Mais surtout, comment, du point de vue de ce qui vient, ne pas déplacer les points de vue ?
La littérature à venir sera caniculaire ou ne sera pas ? Son inspiration se limitera à la question de savoir comment respirer ? Les pics de pollution seront des limites à nos élans ? Nos phrases deviendront plus suffocantes ? Mais surtout : comment écrire ou lire un livre, quand le premier rôle ne sera plus tenu par l’homme, mais par la nature modifiée par celui-ci ? Comme l’écrit Bruno Latour dans Face à Gaïa, ses « huit conférences sur le régime climatique » (Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2015), le drame ne se joue plus pour l’humanité sur fond d’une nature permanente : c’est sur la scène d’un théâtre nouveau que la terre entre en scène, rétroagissant aux actions de l’homme dont elle ne se distingue plus.
Ah, vous vous intéressez à l’environnement, vous renvoie-t-on, quand vous expliquez qu’il n’est plus trop temps de prendre l’avion ou la voiture, manger de la viande, etc. Ou quand vous glissez à vos interlocuteurs dubitatifs que la crise climatique est peut-être à poser au départ de toute réflexion un peu sérieuse, qu’elle soit politique, philosophique ou littéraire. Parler d’environnement, répondrait Bruno Latour, n’a plus lieu d’être, quand altéré, hystérisé par nos émissions de CO2, celui-ci, ne se tenant plus seulement en arrière-plan de notre histoire, devient notre histoire.
Tout le propos de ce livre, qu’on pourrait critiquer s’il ne faisait pas si chaud, est de nous montrer qu’à ce moment de l’Anthropocène où nous entrons, nous n’avons d’autre choix que de nous tourner vers une vie nouvelle. Il ne s’agit pas de retourner à la nature, ou alors pas seulement : c’est elle plutôt qui, continuant à réagir à notre histoire récente, est prise dans notre histoire et nous dans la sienne. Entre elle et nous, c’est plutôt dorénavant « une fusion lente et progressive de vertus cognitives, émotionnelles et esthétiques, grâce auxquelles les boucles de rétroaction sont rendues de plus en plus visibles  ». Ce à quoi il nous faut nous intéresser, ce n’est plus tant à notre rapport à la nature qu’à cette «  zone métamorphique  » entre elle et nous, où interférent des « puissances d’agir  ».
Ce monde qui se réchauffe, avec un couvert glaciaire réduit comme peau de chagrin, des mers acides et de plus en plus hautes, des climats déréglés, ce qui arrive n’est pas environnemental, mais le fruit d’une révolution d’origine humaine. Et le problème avec cette révolution, ajoute Bruno Latour, c’est qu’elle a déjà eu lieu. Nous sommes tous, dit-il, des contre-révolutionnaires, tentant de minimiser les effets d’une révolution « qui s’est faite sans nous, contre nous, et en même temps, par nous  ». Au moins pourrions-nous considérer ce passé pour ouvrir l’avenir, et considérer le capitalisme industriel basé sur l’énergie fossile pour ce qu’il est, pour ce qu’il fait et continuera malgré nous à faire encore longtemps.
Le temps n’est plus où l’on espérait s’en sortir, dit Latour. La crise est définitive. L’espoir, au point où nous en sommes, est mauvais conseiller. Il faudrait plutôt, propose-t-il, « explorer une façon assez subtile de désespérer ; ce qui ne veut pas dire “se désespérer”, mais ne pas se confier au seul espoir comme engrenage sur le temps qui passe  ». L’espoir de ne plus espérer ? Cela ne fait pas rêver et pourtant, on le voit, l’enjeu est bien de ne plus continuer à foncer tête baissée : comme l’ange de l’histoire de Benjamin, il est temps de regarder en arrière de nous pour nous tourner vers un futur, c’est à partir de la catastrophe dont les ruines s’amoncellent à nos pieds que nous pourrions apercevoir un avenir.
« Eppur si muove !  », « Et pourtant elle se meut !  » On se souvient de la fameuse exclamation de Galilée, après ce que Michel Serres appelle « le premier procès ». Nous assistons, selon celui-ci, au « second procès » : face à tous les pouvoirs assemblés de la nouvelle Inquisition, désormais économique plutôt que religieuse, il faudrait plutôt s’exclamer : « Et pourtant la Terre s’émeut !  » C’est dès lors dans un nouveau partage du sensible que nous avons à nous engager, où la littérature a toute sa place. C’est révolution contre révolution : l’invention de nouveaux modèles économiques et productifs se fera avec ou sans Trump, mais ils ne se feront pas sans une métamorphose de nos imaginaires et de nos manières de penser et de vivre. C’est passionnant.

Projet pour une révolution Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°185 , juillet 2017.
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