Que Marguerite n’aime pas ses fesses, on peut le comprendre. Elle les trouve plates. Soit. Mais un peu d’objectivité lui ferait apparaître qu’elle ne rend pas indifférents les hommes qu’elle croise. À 32 ans, la jeune femme vit en couple une vie de vieux couple : elle et Jonas ne font pas souvent l’amour. Pourtant Jonas est bien outillé. Ce que plus d’une fille sur la Toile a pu constater : quand Marguerite n’est pas chez elle ou dort, il se connecte sur un site d’exhibitionnistes pour montrer son engin à qui veut le voir. Et pour mater de jeunes filles qui à travers le monde font gagner ainsi de l’argent à la société qui héberge leur performance. Ce que Marguerite ignore, car du monde, elle ignore beaucoup de choses. La jeune fille, qui ne manque pas d’argent, travaille comme petite main pour une maison d’édition parisienne. Alors qu’elle est venue chercher quelques manuscrits, elle croise en compagnie du dirigeant de la boîte, l’ancien président de la République, DDM dont les yeux aussitôt s’allument d’une concupiscence éternelle. Le vieil homme (mélange de VGE et de Chirac) décide aussitôt de confier le dernier tome (à écrire) de ses mémoires à la maison d’édition, à la condition expresse que ce soit Marguerite qui y travaille avec lui. L’innocente donzelle ira donc chaque jour prendre la température des souvenirs du vieillard priapique.
Erwan Larher ne fait pas dans la dentelle pour radiographier avec ironie notre époque. Le monde politique, corrompu comme on l’imagine assez bien, est débarrassé de toute idéologie, pensée, vision du monde. Le sexe en est le moteur et le but. DSK un exemple représentatif de ce qui se joue dans les hautes sphères de l’état. Asexuée depuis toujours, Marguerite découvre tout un pan de la vie que seules ses copines dévergondées lui avaient laissé imaginer. Miss Bovary d’aujourd’hui, elle rêve d’avoir des enfants, veut croire que son Jonas de fiancé travaille la nuit à la réalisation d’un jeu vidéo quand il se masturbe à tout va devant son écran. La découverte de ses penchants exhibitionnistes et de son attirance pour les teenagers va la libérer de son hibernation sexuelle, aidée aussi par le lubrique DDM auquel elle finit par offrir des moments d’un érotisme intense. Raconté ainsi, le livre passerait pour un roman de gare à l’intention des adolescents acnéiques. Mais Erwan Larher a un vrai talent de chroniqueur des temps modernes en même temps qu’une réelle puissance évocatrice. Rien, hormis le scénario, ne semble outré et DDM, Jonas et Marguerite acquièrent assez vite une épaisseur psychologique qui nous les rend proches. Surtout, l’écriture vive s’appuie sur des effets très réussis de dialogue. Une scène racontée au moment où elle a lieu se poursuit, ligne suivante, dans une discussion dont elle est le sujet. Ça file vite et joyeusement.
À plus d’une ironie mordante et d’un humour subtil, Erwan Larher convoque dans son cinquième livre une veine policière qui rendra nerveuse la fin de son roman. Des meurtres de personnalités politiques ponctuent la vie française depuis un quart de siècle et Jacek Krychowiak soupçonne que tous ces meurtres sont reliés entre eux et sont le fait d’un « Monsieur Propre » investi de la mission herculéenne de nettoyer les écuries de la République. Jacek n’aura pas de mal à croiser la route d’une Marguerite plus prompte alors à décroiser les jambes qu’elle ne l’était avant sa rencontre présidentielle. Comme quoi, à défaut de changer la vie, l’ancien Président aura du moins changé celle de Marguerite… et de ses fesses.
T. G.
Marguerite n’aime pas ses fesses
d’Erwan Larher
Quidam éditeur, 252 pages, 20 €
Domaine français La politique par les couilles
juillet 2016 | Le Matricule des Anges n°175
| par
Thierry Guichard
Roman débridé et joyeusement ironique, le cinquième livre d’Erwan Larher fourmille de choses bien vues et se moque de notre modernité.
Un livre
La politique par les couilles
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°175
, juillet 2016.