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Domaine français Mythologies

juillet 2016 | Le Matricule des Anges n°175 | par Benoît Legemble

Érudites et débraillées, les variations de Jérôme Orsoni soulignent brillamment les limites de la métafiction. Quand écrire revient à construire des tombeaux.

Premier roman de Jérôme Orsoni, Pedro Mayr est un récit à l’horlogerie fine, mais aux mécanismes joyeusement détraqués. Il joue et jouit de la déconstruction des formes, esquisse le portrait de deux écrivains potentiels, pris tête-bêche, « l’un à l’envers de l’autre ». Soit l’image et son négatif : Pedro le scripteur flamboyant, et Pierre – narrateur et témoin, qui nous servira de guide dans les dédales d’une fiction aux mises en abyme labyrinthiques, comme autant de champs des possibles. Dans ce jeu de dupes, Pierre est l’homme de l’ombre qui fait de ses pensés ses catins, théâtre d’un soliloque à livre ouvert. Un être qui parcourt le monde comme en rêve, de péroraisons fatrasiques en voyages immobiles (voir la toute performative référence à Xavier de Maistre).
C’est que cette fiction s’enracine dans la pure spéculation, quand l’hypothétique s’avère aussi recevable que ce qui est. Tout son charme tient en cela qu’elle se joue des pistes, dynamite la hiérarchie des strates temporelles. Elle a le port altier de la pensée singulière, porte les stigmates du conditionnel – et autres reliques référentielles dont s’arme l’écrivain en sa chapelle. On y rencontre de vieilles connaissances, comme Borges, dont on glose les Fictions, lorsqu’il n’est pas question de Beckett et Duras et consort.
Car il s’agit pour l’écrivain et son témoin d’évacuer la tradition romantique tout en en conservant l’expérience du miroir. Affronter donc la possibilité de son absence, puisqu’on peut se passer de l’auteur mais pas de ses livres. Liquider aussi les « maîtres anciens » (Thomas Bernhard) et la geste de « ceux qui passent leur temps à écrire sur les dépouilles mortuaires de leurs aînés ». Dans une poétique de la correction infinie, Jérôme Orsoni précise les raisons du mal moderne : « on a raconté trop d’histoire, à tel point que nous en sommes saturés, que nous n’en pouvons plus, que nous ne respirons plus sans une histoire qui raconte que nous sommes en train de respirer, mais nous n’y pouvons plus rien à présent ». « Tout ce que nous pouvons faire », « c’est les mettre dans le bon ordre. »
L’éloquence d’Orsoni s’est donc polie sur le marbre des tombeaux. Elle fait le constat d’un échec du temps sur le temps, s’inscrit dans une quête identitaire où la voix s’engendre elle-même comme pour garantir l’existence d’un pays intime, ainsi qu’une nouvelle ère géographique. Un temps sensible qui aurait survécu à l’asphyxiante omniprésence de Pedro Mayr. Pierre le scrutateur est seulement là pour construire un catafalque à la mémoire de son épigone, puisque l’auteur n’est jamais que l’antipode que contemple le biographe. Bien que sachant l’absurdité « séminale » de vouloir donner à tout prix un sens à sa vie, Pierre deviendra donc « chasseur de tombes d’écrivains célèbres ». Une sorte de tourisme mémoriel, à lire comme le filigrane d’une prédation qui avancerait masquée.
Écho pas si lointain des bons mots de Sainte-Beuve sur Lamartine, Pierre « ne sait que son âme ! ». Il est un être ténébreux aux frontières changeantes et fantasmées. Un frondeur en diable qui réfute la capacité de l’auteur à nous éclairer sur l’ordre du monde, sape la mythologie minimaliste comme position esthétisante propre à la postmodernité. Orsoni paye ouvertement sa dette : « feindre la littérature, ce n’est pas faire semblant. Au contraire c’est pousser la fiction toujours un peu plus loin. »
Mais au fond du talent poétique demeure l’ennui existentiel, la confrontation de l’esprit tout atmosphérique du rêveur à l’esprit narratif de l’auteur. Et Pedro. Vivant ou mort. Pedro comme un écran blanc sur lequel projeter ses chimères. Une imposture littéraire aux accents baroques, qu’Orsoni décline du versant de la relation de l’ersatz à son modèle, telle une « équation barbare ».
Benoît Legemble

PEDRO MAYR
de Jérôme Orsoni
Actes Sud, 208 pages, 19,80

Mythologies Par Benoît Legemble
Le Matricule des Anges n°175 , juillet 2016.