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Domaine français Corpus scripti

juillet 2016 | Le Matricule des Anges n°175 | par Richard Blin

Dans un (dernier ?) livre à la sensibilité aussi ensauvagée qu’insoumise, Marcel Moreau clame son amour inachevé, inachevable, de la femme, des mots et de la force désentravante du verbe.

Dansant, transportant, quasi testamentaire, mais éclairé par le toujours même soleil d’orage, le soixantième livre de Marcel Moreau (né en 1933). Affamé de fureur voluptueuse, il est tout entier voué à Celle qu’il appelle « la langue de ma vie ». Livre inclassable, à la matière enivrée, sapide, palpitante, tout en bousculades d’impressions « dans le plus pur style des retournements d’entrailles ». C’est que quelque chose d’inouï cherche à s’y dire dans l’entrecroisement des voix et l’entremêlement des corps. Face à face, ou l’un dans l’autre, il y a le corps dansant d’« Elle », et de « Lui », le corps qui écrit la danse de cette femme dans son propre corps. Depuis toujours fasciné par la femme, seule capable dans sa prodigieuse différence, d’entraîner l’homme vers cet au-delà de lui-même devant lequel il recule le plus souvent, Marcel Moreau tente ici, en chercheur fou, de mettre en mots et en mouvement le corps féminin qui habite son « corps verbal », ses livres et sa langue.
Un horizon qui fait de « Lui » à la fois un corps, un livre, une correspondance amoureuse, un homme dont l’écriture danse le corps intérieur. En effet, pour le « possédé des mots » qu’il est, ceux-ci sont « des corps dans le corps », des sortes d’êtres vivants « doués de conscience, de sexualité » et comme taillés « dans l’énergie dansante de Dionysos ». D’où sa prose rythmique, ivre et inspirée, cette langue affolée, affolante, qui réveille dans notre chair des aspects irrévélés de la vie, des sensations inconnues nous donnant accès à une connaissance accrue, instinctive, viscérale, de ce qui est comme de ce que nous sommes. Ce qui suppose la capacité à faire face à la vérité inconfortable de ce qui nous est le plus consubstantiel, à savoir nos instincts et la part de Nuit et de Mal « qui scande nos pas ». Une expérience des limites à la Artaud ou à la Bataille que l’auteur qualifie de « chaonaissance », une forme de connaissance – dans et par le chaos de nos êtres – capable de conjoindre notre réalité la plus profonde au démesuré de nos désirs, ce qui arme la parole d’un savoir lui permettant d’accéder à une forme d’agrandissement de l’être. Une entreprise de libération et de transfiguration de la vie intérieure – « en capitale de tous les possibles de l’être » – que permet la démesure d’une écriture qui, en faisant descendre le cerveau dans le ventre, parvient à rejoindre la poésie trépidante de la vie dionysiaque.
Aux questions cardinales qui se posent à l’homme – l’amour, la création, le désir, la mort – Moreau répond par le débordement de l’être et l’esquisse d’une philosophie des instincts, immorale et irrationaliste. Philosophie dont le pari insensé est de faire danser le sens en mêlant la créativité à l’insoumission, en reliant les sonorités et la résonance des mots aux origines abyssales du monde. En les faisant sortir, ces mots, de leurs gonds, de leur acception par trop immuable et en les délestant de l’obligation rationnelle de « mettre leurs pas dans ceux de l’esprit de géométrie ». En retrouvant aussi leur « rythmique naturelle » et en les associant à une vision renouvelée de leur appartenance à «  une effervescence verbale préexistant au sens ». En les mariant, enfin, à une écriture en divagation, « tout ébouriffée de mots spasmodiques » émanant de ce « cratère à cordes » qu’est, à l’intérieur du corps écrivant, « cette respiration de la musique des mots qui rend imminente, pour ne pas dire déjà advenue, la convergence de la pensée et des instincts, voire de l’urbanité et de l’incongruité ». Ce qui ajoute au côté inachevable de ce livre – parce qu’il est difficile de mettre un point final quand s’entrevoit la fin prochaine du corps écrivant – et parce qu’il appartient à ce type d’œuvre qui, sur fond de conscience tragique, fait danser l’être dans un jaillissement sans fin de beautés nouvelles et fécondes.
Richard Blin

UN CRATÈRE À CORDES ou La langue de ma vie
DE MARCEL MOREAU, Lettres Vives, 128 pages, 18

Corpus scripti Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°175 , juillet 2016.