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Théâtre Sexe et comédie

juin 2016 | Le Matricule des Anges n°174 | par Laurence Cazaux

Le trublion du théâtre allemand de l’après-guerre dynamite les couples.

Rainer Werner Fassbinder est avant tout connu comme un très grand cinéaste, à la production foisonnante, près de 40 films. Il est aussi auteur de théâtre, et lorsqu’il meurt, à 37 ans, il aura écrit une dizaine de pièces. Gouttes d’eau sur pierres brûlantes est sa première. Il a 19 ans lorsqu’il l’écrit. Ce texte, qu’il n’aura jamais repris ni mis en scène, ni au théâtre ni au cinéma, signe peut-être d’une certaine distance prise avec cette œuvre de jeunesse, est relativement sage et classique comparé à ses productions suivantes. Mais il contient déjà tous les ingrédients qui composeront ensuite son théâtre : l’homosexualité, la transgression, les rapports de domination /soumission, la mise à mal du couple, la bisexualité, l’argent, etc. L’auteur le présente comme une « comédie à fin pseudo-tragique ». Lorsque Frantz rencontre Léopold, il vit avec Anna, sa petite amie qui ne rêve que d’enfants. Après avoir résisté (très peu) aux avances de Léopold, Frantz devient son amant et, finalement, s’installe dans la maison dont il ne sort plus, sorte de bobonne qui attend impatiemment le retour du maître et s’assure n’avoir rien oublié : allumer le poêle, acheter des cigarettes, préparer le repas. L’acte deux est une démolition en règle de la vie de ce couple, couple homosexuel dans le cas présent, mais dont les préoccupations et les mesquineries n’ont rien à envier aux couples hétéros : « Tu pourrais quand même mettre nom de dieu des chaussons, tu sais parfaitement qu’avec des chaussures de ville on fait un bruit épouvantable ». Les reproches et les humiliations s’accumulent : l’amour au quotidien s’avère très difficile à vivre. Seul le sexe semble fonctionner correctement. Et puis arrive Anna qui veut reconquérir son Frantz : elle finit assez rapidement dans le lit de Léopold. Et quand Véra, l’amie de Léopold arrive à son tour, elle rejoint Anna dans le lit de Léopold, tandis que Frantz avale du poison et meurt. Nous sommes proches du boulevard. Anna pleure les enfants qu’elle n’aura pas, « Mes enfants ! Qui va me faire mes enfants maintenant ! » et Léopold téléphone à la maman de Frantz pour lui annoncer la nouvelle, en s’excusant du dérangement, avant de déclarer aux femmes qui l’attendent : « (…) je me brosse juste les dents vite fait et j’arrive ».
Fassbinder a de l’être humain une vision cynique : il n’est que mensonges et lâcheté, toujours prêt à se soumettre à la loi du plus fort. Mais rien n’a finalement d’importance quand au lit tout va bien. L’écriture est sèche, directe, rapide et sans fioritures. Elle ne s’attarde pas en route, elle va à l’essentiel et crée une forme de distance qui nous éloigne de tout réalisme et nous plonge directement dans la cruauté des rapports humains. Une cruauté teintée d’ironie et de légèreté, mais qui n’épargne personne.
Patrick Gay-Bellile

GOUTTES D’EAU SUR PIERRES BRÛLANTES
de R.W. Fassbinder
Traduit de l’allemand par Jörn Cambreleng,
L’Arche, 96 pages, 12

Sexe et comédie Par Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°174 , juin 2016.
LMDA papier n°174
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