Plus de trente ans après son œuvre majeure, A la hauteur de Grand Central Station je me suis assise et j’ai pleuré (1945), inspirée de sa relation passionnée avec le poète britannique George Barker, Élizabeth Smart a publié un texte qui en est une suite assez logique. Nous retrouvons une femme délaissée, élevant seule ses enfants et aux prises avec les difficultés de l’après-guerre. Les ruines de Londres font écho à son échec amoureux. Soliloques, rêveries, incantations, allusions littéraires et récits, créent un mélange inclassable de formes qui sont autant de cris du cœur d’une femme animée d’une volonté indéfectible de vivre, et surtout d’aimer à nouveau.
Cette femme déchirée n’accepte pas la médiocrité de son quotidien. Grande amoureuse déçue elle travaille modestement dans un bureau. Ses rêves d’un royaume enchanté par l’amour sont broyés. Comment vivre alors que le monde ne semblait avoir de sens que par la passion amoureuse ?
« Je suis du genre obsessif. Et vous ? Si vous êtes du genre papillon vous ne me pardonnerez ma véhémence ». Dommage effectivement qu’Elizabeth Smart ne soit pas un peu moins obsessionnelle, que sa réelle sensibilité poétique soit entamée par le ressassement de son besoin d’amour même si la multiplicité des formes en atténue l’aspect répétitif. Faute de grande passion, « une pâle copie » pourrait éventuellement la satisfaire, ce qui aurait l’avantage de l’écarter du « désir absolu et de ses étouffantes chimères ».
Les incantations pourtant nombrilistes d’Elizabeth ne sont jamais ennuyeuses. Son style a quelque chose de désordonné mais de furieux. « La plume est une arme terrible. Mais elle n’est rien sans furieuse volonté. » Cette « furieuse volonté » ne semble malheureusement pas adaptée à la réalité de son existence. Un apaisement serait souhaitable. Elle-même semble le désirer. « La pacification est possible. La chair peut être douce ». Mais en est-elle si certaine ?
Yves Le Gall
L’Arrogance des vaurieux
Elizabeth Smart
Traduit de l’anglais (Canada) par Marie Frankland
Les Allusifs, 128 pages, 11,50 €
Domaine étranger L' Arrogance des vauriens
mars 2014 | Le Matricule des Anges n°151
| par
Yves Le Gall
Un livre
Par
Yves Le Gall
Le Matricule des Anges n°151
, mars 2014.