Gallimard jeunesse fait la fête à Shaun Tan en publiant au même moment L’Oiseau roi et autres dessins, recueil de croquis et esquisses organisé en chapitres (« Histoires non racontées », « Livre, théâtre et film », « Dessins d’après nature », « Carnets »), et La Chose perdue qui ressemble à un conte effilé, une trentaine de pages d’un format un peu plus grand qu’un A4. L’auteur présente le premier comme un « échantillon de (son) travail au cours de ces douze dernières années », quand le second est une œuvre – pour la jeunesse ? – qu’accompagne un dvd d’une quinzaine de minutes. De quoi nous faire une petite idée de la créativité singulière de l’auteur australien – comme son nom ne l’indique pas.
Les lignes qui précèdent les dessins de L’Oiseau roi réussissent à lui dégager une certaine place : il cite Paul Klee décrivant son propre travail – « emmener une ligne se promener » –, puis file la métaphore – « on lance des lignes à la mer en essayant de ramener quelque chose d’intéressant » –, le tout baigné dans « l’empathie émotionnelle » qui en effet peut être une de ses caractéristiques, subsumant tranquillement le « jeune » ou le « vieux », puisque sa ligne, à lui, suit des contours tout à la fois réalistes et oniriques, fantastiques et classiques.
Si L’Oiseau roi fait le tour des univers graphiques de Shaun Tan, La Chose perdue se concentre sur une petite histoire doublement réalisée : en livre d’images et en film d’animation. Un jeune garçon nous raconte une histoire, la sienne, qui commence avec la découverte, sur une plage, une après-midi, d’une chose perdue. Soit un gros et improbable objet doté d’une conscience, à pattes et mandibules, un peu rouge un peu vert. « Elle ne faisait pas grand-chose. Plantée sur le sable, pas vraiment à sa place. J’étais perplexe (…). Impossible de nier le tragique de la situation : elle était perdue » : ainsi commence leur compagnonnage, à la recherche d’une place pour la chose ; et ainsi lance-t-il la ligne qui nous conduit de la plage à chez lui, de la ville à un hangar effrayant, pour atteindre « le bon endroit », sorte de paradis des choses perdues, où Jérôme Bosch retrouverait sans doute ses petits. Mais ce n’est pas tout : la morale de la fin creuse la mélancolie, le jeune garçon devenu adulte se prenant à penser qu’il n’aperçoit plus ces choses perdues – « trop occupé à autre chose, j’imagine » –, dans un univers acharné à décliner ad libitum les mêmes nuances de gris, les transports en commun et les banlieues résidentielles.
Couché sur papier glacé ou animé, le conte de Shaun Tan surprend par bien des aspects, et, à proprement parler, charme : les couleurs, les formes, les rondeurs font comme un coussin d’imagination confortable et doux, tandis que la bienveillante élégie fabrique un petit moment de grâce.
Gilles Magniont
Shaun Tan
La Chose perdue
32 p., 22,50 €
L’Oiseau roi et autres dessins
18 €, Gallimard jeunesse
Textes & images La force des choses
novembre 2012 | Le Matricule des Anges n°138
| par
Gilles Magniont
Promenades colorées dans les territoires de Shaun Tan.
Des livres
La force des choses
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°138
, novembre 2012.