À travers les publications qu’elles suscitent, les commémorations ont au moins pour vertu de nous inciter à nous abstraire du temps qui est le nôtre pour tenter de retrouver le sens d’événements que leur éloignement nous rendait pour une part opaques ou hermétiques. La lecture des ouvrages que les Éditions de Minuit font reparaître à cette occasion offre ainsi l’opportunité de connaître les ressorts d’une opposition multiforme à cette guerre jugée déshonorante pour la France, condamnée au nom d’impératifs moraux face auxquels l’invocation réitérée de la nécessaire fidélité à la nation allait peser de moins en moins lourd.
Le front sur lequel se battront les Éditions de Minuit sera principalement celui de la torture, pratique qui se répand largement au cours du conflit algérien et sera dénoncée non pas comme une dérive néfaste, un épiphénomène condamnable mais comme un fait majeur inhérent à l’existence même de cette guerre coloniale « qu’il était urgent de perdre » (Anne Simonin). On comprend mieux aussi la façon dont le pouvoir combattait ceux qui niaient la légitimité, le bien-fondé de cette guerre. Parmi eux, Jérôme Lindon a occupé une place de premier plan et la maison qu’il dirigeait a été un axe majeur de la contestation. Quand il publie en 1957 les premiers livres qui seront consacrés à l’Algérie durant le conflit, Jérôme Lindon est âgé d’un peu plus de 30 ans et les Éditions de Minuit en ont moins de vingt. Dans les années d’après-guerre, l’engagement n’est plus celui qui avait conduit Vercors et Pierre de Lescure à fonder clandestinement une maison destinée à accueillir les textes des ceux qui refusent de céder à l’oppresseur nazi (Eluard, Aragon, Mauriac, Gide). Il s’agit désormais de rechercher des formes littéraires novatrices, telles celles que portent Samuel Beckett et les auteurs du Nouveau Roman. Loin donc de l’attitude prônée par Sartre d’un intellectuel avant tout utile à son temps, d’un écrivain mettant sa plume au service des luttes urgentes à mener. Avec la guerre d’Algérie et les ignominies qui s’accomplissent en son nom, les positions se rapprochent. La question de l’écriture comme moyen d’action sur le réel ou bien comme finalité, matière à travailler indéfiniment au nom de l’acte même de création, devient secondaire face au « cas de conscience » qui se pose à ceux qui se demandent comment vivre dans un pays qui a choisi la voie du déshonneur. Chacun, à la place qu’il occupe, doit selon eux agir pour ne pas se faire le complice de l’oppression, du mensonge, du meurtre et de la torture. Lindon choisira donc de publier des livres visant à informer sur ce qui se passe vraiment en Algérie (et aussi en France), à dénoncer les crimes commis dans l’indifférence.
Parmi ceux qu’il est possible de découvrir ou de redécouvrir aujourd’hui à l’occasion de cette parution groupée, les plus connus sont probablement La Question d’Henri Alleg et L’Affaire Audin de Pierre Vidal-Naquet, respectivement publiés en février et...
Événement & Grand Fonds Minuit, à l’aube algérienne
À l’heure où on célèbre avec les accords d’Évian le cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie, les Éditions de Minuit rééditent les livres qui furent les jalons majeurs d’un combat mené contre le déshonneur et la déraison d’État. Indignez-vous ! écrivaient-ils.